J’ai eu le plaisir d’interviewer Greg Habert, 5e dan d’Aïkido (UFA et aikikaï), 4è dan de Iaido, mais également membre de la commission Communication de la FFAB. Ce qui m’a intéressé dans le profil de Greg, c’est sa vision de la communication, d’une qualité remarquable et en phase avec son époque. Professionnel de l’aikido, il n’hésite pas à déployer des moyens pour faire connaître la discipline auprès d’un public aujourd’hui absent : la jeunesse. Dans cette interview, j’interroge Greg sur les coulisses de son travail de communiquant, mais également sur sa vision de l’enseignement, et ses conseils pour devenir un bon professionnel de l’aikido. Bonne lecture !
Tu bénéficies d’une grosse visibilité sur les réseaux sociaux, et principalement sur Instagram : quel public vises-tu à travers tes contenus ?
Les réseaux sociaux ont vu un essor incroyable ces dernières décennies et la faible représentation de l’aïkido a toujours été pour moi flagrante. Je me suis dit qu’il fallait le faire soi-même car l’attention quotidienne que cela nécessite ne peut être imputée à un groupe comme une Fédération, tant que cela n’est pas maîtrisé par au moins quelques personnes. J’ai eu alors envie de donner aux nouvelles générations ce que je n’avais pas trouvé étant jeune. Montrer un coté dynamique, les katas, la nomenclature et un coté plus légers. Mais il y a encore tellement de choses que j’aimerais faire… Pour ce qui est du public, je ne vise personne en particulier, le message est pour tous, tout dépend du média utilisé.
La communication est l’un de tes points forts et tu sembles la maîtriser à merveille : as-tu une stratégie de contenue rodée ? La communication occupe-t-elle une grosse part de ton budget et de ton temps ? As-tu une équipe autour de toi ?
Je te remercie mais la communication comme je la fais est encore largement perfectible.
La stratégie dépend du support et il faut s’adapter à chaque type. Sur Tiktok, je ne suis pas en accord avec la mentalité du réseau, mais cela évolue, il faut rester à l’écoute. Sur Facebook, Instagram et Youtube, les stratégies et les types de postes attendus sont différents.
J’ai également une stratégie personnelle et une stratégie régionale qui sont différentes.
La stratégie personnelle de communication est en très grande partie faite par ma femme et à son initiative, que ce soit pour filmer, rédiger des textes et diffuser sur les réseaux sociaux et par mail. Elle a pour but d’augmenter ma visibilité et la fréquentation de mes cours et de mes stages. Je lui laisse carte blanche, d’où la présence récurrente de nos chats….
La communication régionale est faite par moi mais avec l’aval de tous les membres de la commission communication FFAB d’Ile de France . J’ai créé le nouveau site internet régional et celui du CODEP91 et je gère leurs réseaux sociaux. La communication intervient à de nombreux niveaux, il est difficile de faire une liste exhaustive.
Le budget a été conséquent au départ, pour les caméras, appareils photos etc…. Cela prend pas mal de temps entre les posts réguliers et les événements, la mise à jour des descriptifs, les réponses aux commentaires et les appréciations sur les comptes que je suis. Je réalise également tous les montages vidéo.
Au total, le temps passé devant l’écran d’ordinateur est souvent équivalent à celui passé sur les tatamis voire plus en période de promotion.
On te voit souvent sur des vidéos en pleine nature ou sur d’autres terrains que les tatamis : quel est le message que tu souhaites faire passer dans ces vidéos hors des sentiers battus ? Qu’est-ce que cela traduit de ta vision de l’aïkido ?
Le nom de notre association est Sekaidojo, ce qui veut dire “le monde est mon dojo et le dojo est mon monde”. Je souhaite ajouter une ouverture, une esthétique qui permettent de communiquer de manière visuelle aussi. Les endroits où l’aïkido nous mène pour diverses raisons sont importants. Ce n’est pas seulement le dojo qui est source d’apprentissage mais aussi le lieu, le pays, les locaux qui apportent des connaissances. Je donne autant le conseil de toujours apporter son keikogi en voyage afin de pratiquer dans divers dojo tel un mushashugyosha, que de s’intéresser, se cultiver au sujet de l’endroit où l’on part en stage. Et il faut l’avouer, on se retrouve parfois dans des lieux, des paysages sacrément beaux !
Aujourd’hui, la visibilité de l’aïkido est en chute libre. Dans ce contexte, tu es un des rares aikidoka qui communique : comment est perçue ta communication dynamique dans le milieu des aikidokas ?
Il y a d’autres communicants et divers types ou styles de communication dans l’aikido. Je n’ai aucune idée de la manière dont est perçue la mienne. Il y a certainement des gens qui n’aiment pas et d’autres qui apprécient. Toute critique est intéressante. Je lis tous les commentaires qui sont la plupart du temps positifs. Je laisse les commentaires qui me semblent polémiques lorsqu’il y en a et cela amène souvent à des échanges entre les « lecteurs ».
On vit dans un monde d’hyper communication ; ce serait dommage de ne pas s’en servir. Cela était peu utilisé jusqu’à récemment pour des raisons de tradition et d’éthique. Peu importe qu’on parle en bien ou en mal de la communication de quelqu’un, ce qui est important, c’est de rendre visible la discipline. Entre 1989 et 1992, quand je disais que je faisais de l’aïkido, personne ne connaissait la discipline et cela était parfois un peu dur. Mais lorsque les films de Steven Segal ont commencé à être connus, le regard des copains a changé et cela est devenu très stimulant d’un coup.
As-tu mis en place des actions de communication hors ligne (réseau, porte à porte, flyers, autres…)? Quel type de communication est le plus efficace pour toi ?
La seule communication hors ligne que je fais actuellement se fait au moment des forums des associations. Cela s’explique par le fait que je suis salarié et que je n’ai pas d’intéressement aux nombres d’élèves dans mes cours. Je communique pour faire connaître l’aïkido au grand public mais pas pour mes dojos.
Une bonne communication dépend surtout de l’adaptation des moyens et des vecteurs à la cible et au but recherché. Après je ne te cache pas que je crois de moins en moins aux supports imprimés, souvent très couteux, peu écologiques et avec un rayonnement assez restreint.
Quelles actions efficaces préconiserais-tu pour attirer les 20-35 ans ?
Du dynamisme, des uke garçons et filles jeunes, des musiques qui leur parlent, une belle image. On veut tous s’identifier à quelqu’un, c’est pour cela qu’il est très important que nos représentants à l’écran soient des repères pour cette jeunesse. Nos anciens, lorsqu’ils ont commencé, avaient pour modèle de jeunes uchideshi venant du japon qui avait une trentaine d’années. Je ne suis pas sûr qu’ils auraient accroché avec un pratiquant de 75 ans faisant des respirations. Il faut donner la place aux jeunes, femmes et hommes.
Instagram, YouTube et maintenant Short sont de bons supports pour cette tranche d’âge. L’aikido sur Tiktok n’est pas évident pour le moment mais cela peut changer.
Vidéo clip de campagne de la FFAB (rentrée 2021) réalisée par Greg Habert
PÉDAGOGIE
Quels sont les points clés d’une bonne vidéo pédagogique ?
Suite au confinement, beaucoup de cours en ligne se sont mis en place. Je n’aime pas ce principe car je pense que la pédagogie se fait en face à face et les corrections ne sont pas possibles en vidéo. On peut être un excellent professeur en visu mais mauvais devant une caméra et inversement. Ce n’est pas le même métier je pense. De plus, j’ai extrêmement peur que les gens prennent l’habitude de ce genre de choses et qu’ils ne veulent plus pratiquer.
Mes vidéos ont été faites comme des outils de travail ou des aide-mémoires.
Qu’est-ce qu’un bon enseignant pour toi ?
Voila une question bien difficile. Pendant longtemps, j’ai confondu pratiquant et enseignant, attendant d’un enseignant qu’il soit un exemple. Même s’il est vrai qu’il doit représenter et montrer l’exemple, il est surtout là pour nous permettre de progresser, d’apprendre et d’atteindre son plein potentiel. De plus, selon la morphologie, le caractère, les aspirations de chacun, il est important de chercher le professeur qui nous correspond. Mais il ne faut pas oublier le groupe, car l’enseignant est accompagné de ses autres élèves et le groupe a énormément d’importance et d’impact sur l’apprentissage.
PROFESSIONNALISATION
Tu as également une carrière internationale : comment as-tu créé ces opportunités à l’étranger ?
Au début des années 2000, j’ai eu l’opportunité de partir à l’étranger faire des stages. J’ai choisi d’aller au Etats-Unis, plutôt qu’au Japon, pour suivre Yamada sensei et Saotome sensei. J’ai ainsi appris à parler anglais. Cela m’a permis de devenir traducteur pendant certains stages. Il était plus facile pour les groupes étrangers de rentrer en contacts avec moi. J’étais aussi souvent uke des professeurs ce qui a du les motiver à me demander d’intervenir chez eux. Parler différentes langues permet sans doute d’être plus sollicité à l’étranger.
En combien de temps as-tu réussi à vivre de l’aikido et que faisais-tu avant ?
Avant de pouvoir vivre de mes revenus en tant que professionnel d’aïkido, j’étais monteur, après avoir obtenu un BTS audiovisuel image. Cela m’aide aujourd’hui au quotidien pour la création des supports de communication en aikido. J’ai quitté mon travail en 2007 pour me professionnaliser dans l’aikido. Au départ, cela a semblé étonnant et inconscient pour certains. Le marché de l’emploi et les salaires n’ont effectivement aucune commune mesure entre les deux métiers. Je ne regrette pas d’avoir pris cette décision. J’ai bien connu une période difficile mais j’ai enfin commencé à en vivre en 2011, quatre ans plus tard. Je vis aujourd’hui de ma passion, je suis heureux ainsi et ce n’est pas donné à tout le monde.
Tu vises également un public d’entreprises : quelle est la finalité de cet enseignement ? Amener la pratique de l’aïkido au sein des entreprises (dans le cadre d’une pratique classique le midi) ou apporter les principes de l’aïkido pour aider les entreprises à améliorer les relations avec leurs collaborateurs (teambuilding) ?
J’adore les cours du midi. Quand on y pense, il est beaucoup plus facile pour des gens ayant une vie de famille de pratiquer entre 12h et 14h que le soir. Certes, ces cours ne sont pas aussi riches car nous n’avons pas autant le temps mais les cours sont plus dynamiques. Pour ce qui est des cours de teambuilding, je n’aime pas trop cela. L’aikido est une discipline très longue à apprendre et demande un investissement, surtout l’apprentissage des ukemi, alors tenter d’apprendre ikkyo a des gens qui ne veulent pas le faire et qui ne continueront pas ne m’attire pas.
Vis-tu de l’enseignement de l’aïkido ? Quelle part les stages occupent dans son chiffre d’affaires ?
Oui je suis professionnel d’aikido. J’ai fait le choix de la sécurité plutôt que de gagner beaucoup (et la période Covid m’a donné raison…), aussi je suis salarié de différentes structures. Mon plus gros souci dans la vie est de mettre et plié mon hakama. Je dirais que la moitié de mes rentrées d’argent est due à mes stages.
Quels conseils concrets donnerais-tu pour aider un professeur d’aïkido à lancer son club ? Puis pour devenir rentable ?
Comme pour monter une entreprise, être enseignant d’aikido nécessite plusieurs années avant d’être rentable, alors il faut être prêt à manger des pates instantanés (du vécu…). Il faut se lancer, s’accrocher et être généreux dans son enseignement, ça paye toujours. Bien entendu il faut absolument donner des cours enfants et ados. La rentabilité est cependant compliquée à atteindre à l’heure actuelle et dans notre discipline
Tu as mis en place un système de dons et sponsoring sur ton site web : dans quel objectif ? Quel est le profil de tes donateurs ?
L’association Sekaidojo, dont je suis à l’origine, organise des stages d’aikido et de iaido et nous essayons de créer des partenariats et sponsoring. L’association a pour but de promouvoir ces disciplines. Nous voulons offrir un maximum de confort aux pratiquants qui viennent à nos stages. Pour cela, nous essayons d’obtenir des petits financements ou des partenariats qui nous permettent de ne pas avoir à payer certains équipements. Tout ce que l’association gagne pendant mes stages ou par des dons est réutilisé pour organiser des évènements avec des invités prestigieux ou dans des lieux inhabituels. Nous sommes au début de notre démarche mais nous espérons pouvoir augmenter ainsi la participation des aikidokas et la visibilité de la discipline.
Tu enseignes aujourd’hui dans 4 dojos municipaux : envisages-tu d’enseigner dans un dojo privé ?
Alors non. J’ai commencé dans un dojo privé et j’ai eu ce projet très longtemps. Mais j’ai compris que le fait que l’Etat Français loue aux associations des dojos pour des prix dérisoires créé une concurrence déloyale avec les dojos privés. Hors de France, il y a des dojos privés, mais les cotisations annuelles sont très souvent de l’ordre de 600 €/an voire plus. En France, ce niveau de prix est impensable en aikido, alors qu’en réalité, pour être en mesure de payé un salaire et un loyer, ce serait un minimum. Je danse le tango argentin, il m’arrive souvent de faire des stages de tango. Les prix des cours n’ont rien avoir avec ceux que les arts martiaux proposent. Comment expliquer que les gens acceptent de payer plus pour s’inscrire dans une salle de sport, au yoga ou à des cours de danses de salon que pour faire de judo ou de l’aikido ? Je n’ai pas d’explication. Mais la loi du marché nous oblige à pratiquer des prix tellement bas que les dojos municipaux sont presque indispensables pour un professionnel qui vit exclusivement de ses enseignements.
Dernière question (bonus) : comment souhaites-tu faire évoluer ta carrière pour les prochaines années (projet, vision) ?
Plus on arrivera à donner envie plus la transmission de la discipline se fera naturellement.
Je souhaiterais continuer à donner des cours, motiver les plus jeunes à découvrir et aimer l’aikido, mais aussi donner le goût d’enseigner à mes élèves pour préparer la suite.
Merci Greg !
Pour suivre l’actualité de Greg et ses dernières communication, je vous invite à consulter son site web!
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