J’ai eu le plaisir d’interviewer Fabrice Croizé, 6e Dan UFA, et professionnel de l’aikido. Dans cette interview, j’ai interrogé Fabrice sur la professionnalisation de son activité, pour comprendre son parcours mais également aider les futurs professionnels de l’aikido. Fabrice nous livre ici un retour d’expérience personnelle, ses conseils pour développer son activité, ses sources d’inspiration, mais également son rapport à la communication, et ses points de vigilance. Bonne lecture !

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1/Bonjour Fabrice, peux-tu te présenter ?

Crédit photos : Stéphane Ouzounoff

Je m’appelle Fabrice Croizé. J’ai commencé la pratique de l’aikido à 18 ans, et j’ai maintenant 48 ans, récemment nommé 6e Dan. Je me suis inscrit au Cercle Tissier en 1995, et depuis je m’y entraîne. J’y ai donné les cours au public ado entre 2000 et 2010, et y tiens le cours du vendredi depuis une quinzaine d’années.

A côté du Cercle, j’avais d’abord ouvert un club à Bagnolet, avant d’ouvrir ma salle à Montreuil en 2012 (dojo des Guilands).

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2/ Tu es aujourd’hui un professionnel de l’Aïkido, cette discipline a-t-elle toujours été une vocation pour toi ? 

Interview de Fabrice Croizé (parcours) sur la chaine Youtube Seido

C’est vrai que j’ai eu une accroche rapide et forte avec mon premier professeur et la discipline. Je fonctionne beaucoup à l’intérêt et à la passion. Mais je ne serais pas allé aussi loin si je ne m’étais pas inscrit au Cercle Tissier après le 1er Dan.

Et c’est en arrivant au Cercle et auprès de Christian Tissier que j’ai compris que l’on pouvait en faire son « métier ». Il y avait une haute exigence technique, un engagement physique et une dynamique très forts, ainsi qu’un groupe de sempaïs dense, dont certains étaient déjà des professionnels. Cela m’a ouvert des perspectives et donné beaucoup de motivation. 

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3/ En combien de temps as-tu pu vivre de ton activité ?

Crédit photos : Pacôme Sadek

C’est un parcours assez long, il faut être patient. Entre mes débuts d’enseignant et maintenant, 20 ans se sont écoulés. 

En même temps, les besoins ne sont pas les mêmes à 25 ans, où l’on peut vivre de pas grand-chose, et à mon âge, quand on a une famille, et des charges à payer. 

Pour donner un ordre d’idée, je dirais qu’il faut bien compter 10 ans entre le moment où l’on commence à enseigner, et le moment auquel on pourra espérer avoir des revenus stables et suffisants. 

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4/ Si tu n’avais pas suivi la voie de l’Aïkido, qu’aurais-tu fait ?

Crédit photos : Stéphane Ouzounoff

Difficile à dire! Étudiant, j’étais un peu rebelle au monde du travail, j’aimais beaucoup avoir une vie libre, voyager, etc. L’Aïkido m’a énormément structuré. J’y ai compris que le fait d’être ordonné permet de concentrer ses efforts, et donc de gagner en liberté au bout du compte.

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5/ Tu pratiques des activités parallèles à l’Aïkido, comme la boxe, par exemple. Que t’apporte cette discipline en complément de l’aïkido ? L’aïkido est-il un art martial complet selon toi ?

Crédit photos : Pacôme Sadek

 

Changer d’activité change les repères. Chaque discipline a ses repères implicites. Je continue la Boxe Thaïe parce que j’apprécie André Zeitoun, et le groupe. J’y travaille d’autres façons de me mouvoir, d’envisager le contact, etc. Je n’y suis pas connu, c’est aussi très bien. Je garde une curiosité pour tout le champ martial.

Je ne suis pas certain que la boxe m’apporte beaucoup côté Aïkido, à part peut-être la perte de crainte de prendre un mauvais coup : je sais que je peux encaisser. Mais les distances, répertoires gestuels, les positionnements mentaux sont très différents. 

L’Aïkido, entre sa pratique des armes, ses saisies et frappes, ses clés et projections, son travail à un ou plusieurs partenaires, est sans conteste un art martial complet. Ce qui gêne souvent, c’est que les techniques de base sont en vérité très rudes. Et donc les enseignants, les pratiquants sont obligés de doser pour aller très progressivement dans l’apprentissage des chutes, de la réception de la pression pour respecter les corps (et nos valeurs).  Si l’on pratiquait les bases de manière dure, l’Aïkido aurait beaucoup moins de pratiquants et les blessures seraient beaucoup plus fréquentes, mais sans doute que la question de l’efficacité se poserait moins. 

Les générations d’enseignants et de pratiquants précédentes nous ont légué une discipline magnifique et riche permettant de progresser toute sa vie. Que demander de plus ?

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6/ Tu es aujourd’hui 6e dan : au-delà du titre honorifique, ce grade a-t-il un impact dans ta carrière ?

Crédit photo : Stéphane Ouzounoff

L’avenir le dira, je n’y pense pas trop. De mon expérience, le grade importe peu sur la fréquentation des clubs ou des stages. C’est l’intérêt pour le type de travail qui fonctionne, ce qui prend du temps.

Comme beaucoup de passionnés, je ne cours pas après les grades, mais cela fait plaisir quand ils arrivent. C’est surtout la reconnaissance de mon professeur, des anciens et des élèves qui me touche. 

Quand j’ai débuté, 6e Dan me paraissait un niveau gigantesque. À mon arrivée au Cercle, mes sempaïs Pascal Guillemin et Bruno Gonzalez étaient 3e Dan, la plupart des enseignants 4e Dan, et Christian Tssier, 6e Dan. 

Les gradés 6e Dan sont beaucoup plus courants aujourd’hui, mais cela reste une grosse marche pour moi.

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7/ Comment vois-tu ta carrière professionnelle pour les prochaines années ? 

Crédit photos : Stéphane Ouzounoff

Je me projette peu. Je suis motivé surtout à continuer à m’entraîner, progresser moi-même et avec les élèves qui me font confiance. On verra bien !

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8/ Quels conseils donnerais-tu à un Aïkidoka pour se professionnaliser ?

Les parcours peuvent être divers : on peut souhaiter se professionnaliser en donnant beaucoup de cours à beaucoup de publics différents, sans trop se préoccuper de son niveau, et remplir sa semaine pour s’assurer un salaire décent. Ou bien faire le choix d’un apprentissage sur le long terme, de se mettre dans un système avec des références nationales ou internationales, en repoussant le moment où on sera autonome financièrement. 

Je parlerais plutôt de mon cas, qui est le second. Je pense qu’il ne faut pas calculer, accepter d’avoir un long moment d’apprentissage (Christian parle de 10 ans à partir du moment où on est pris en main). La maturité arrive tard dans notre discipline. Aussi vaut-il mieux s’engager auprès d’une référence, qui vous assurera une autonomie technique sur le long terme. De même, s’engager dans un groupe large et constitué demandera plus d’efforts pour avoir une reconnaissance que dans un petit. Cela pousse à l’effort et à l’excellence, même si le parcours de formation est plus long. 

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9/ Quelles sont les principales sources de revenus d’un professionnel de l’aïkido ?

Dans mon cas, et pour la plupart des professionnels, il s’agit d’un mix salarié/libéral : avoir des cours en clubs en semaine assurant une base de revenus fixe, et un certain nombre de stages en week-end donnant un complément en libéral. Ce mix évoluera sans doute au fur et à mesure des années, et il est bien sûr possible d’envisager de gagner sa vie uniquement sur un seul de ces deux postes. 

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10/ Dojo municipal /dojo privé : quel choix recommandes-tu et pourquoi as-tu fait le choix d’un dojo privé pour animer tes cours ?

Une communauté investie au Dojo des Guilands

Les circonstances ont choisi pour moi au départ : on m’a signalé une salle privée s’ouvrant à Bagnolet, avec des créneaux libres. Je n’étais pas très chaud pour démarrer de zéro dans le privé, mais la salle m’a plu et je me suis lancé. J’y ai donc ouvert une section d’aïkido, en y mettant de ma poche pendant 2 ans pour y enseigner. Puis la section grandissant, les comptes se sont équilibrés.

La liberté dans une salle privée m’a convenu, et le groupe s’étoffant, j’ai cherché une salle pour établir un dojo avec beaucoup d’horaires, comme au Cercle, afin de pouvoir proposer un planning d’entraînements dense aux élèves motivés.

Je ne recommande rien, chaque système a ses forces et ses inconvénients. Le municipal coûte très peu, et permet peut-être de gagner plus vite sa vie, mais est très rigide en terme de changements de créneaux horaires, de stages en w-e, de propreté des lieux, etc.

Le privé nécessite un groupe déjà constitué (sans quoi il faut être prêt à y mettre de sa poche au démarrage), mais est beaucoup plus réactif et souple en terme de choix d’horaires, réservations de w-e, etc. Pendant le Covid par exemple, un dojo privé pouvait coller au plus près des réglementations, quand les structures municipales ont souvent été beaucoup plus lourdes à réagir. 

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11/ Quelles seraient les principales étapes pour développer sa carrière à l’international quand on est un professionnel d’aïkido ?

Crédit photo : Pacôme Sadek

L’international me paraît très particulier. Certains enseignants très présents sur les réseaux sociaux peuvent être plus connus que d’autres plus compétents à mon sens, mais s’exposant moins. Il est donc possible de s’y développer un peu par ce biais. 

Néanmoins, à un moment, la question est : est-ce que de grandes structures de type fédérales pourront me faire confiance pour y enseigner ? Remplir son agenda de petits stages en club à l’étranger peut paraître sympa au début, mais on atteint vite les limites du système.

Si l’on veut vraiment se développer à l’international, il faut que l’excellence soit reconnue. Pour cela, il faut je pense être passé par la case « professeur compétent et reconnu » et « groupe large » dans lequel on a fait ses preuves.

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12/ Depuis le confinement, tu as investi du temps dans le développement d’une communication digitale, notamment avec un groupe What’sapp (communication interne) et des vidéos à succès sur Youtube (communication externe). Pourtant, avant cette période, la communication digitale n’était pas le principal levier pour développer ton club et plus généralement ton activité. Quel regard portes-tu sur ce type de communication en 2022: outil incontournable pour les futurs professionnels ou gadget ?

Franc succès des cours en ligne (en live) de Fabrice Croizé pendant le confinement (2020)

Un peu des deux ! Mais je pense qu’il est très difficile pour un professionnel de s’en passer en 2022.

C’est vrai que le Covid et ses confinements m’ont obligé à sortir de ma posture d’enseignant un peu « à l’ancienne ». Pas toujours facile pour moi, mais j’y ai appris beaucoup de choses sur comment projeter ce que l’on sait faire. 

Depuis que l’on est revenus à des conditions normales cette saison, j’ai surtout gardé le groupe What’sApp qui me paraît un outil dynamique et direct de contact avec les élèves. Et j’ai repris le travail en dojo, sans grande visibilité extérieure, qui est la base du métier. 

Mais je n’exclus pas de revenir un peu à la vidéo dans les temps à venir pour donner une audience plus large à ce que je fais, et à la discipline. C’est néanmoins beaucoup de temps et d’investissement.

Attention à mon sens quand même à celles et ceux qui essaient de percer uniquement sur les réseaux. On perçoit souvent une dynamique narcissique très éloignée de notre voie, et le niveau technique ne peut pas tromper longtemps, s’il est moyen ou faible. 

Un des dangers des réseaux sociaux et autres est la tendance au « picorage » que l’on perçoit chez certains pratiquants actuels, essayant tel geste, suivant un cours chez l’un, un stage chez l’autre, au gré de ce qu’ils ont vu sur ne le net, sans créer de réelle colonne vertébrale dans leur Aïkido. 

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13/Tu as récemment investi dans la refonte de ton site web (il y a un an), quel était l’objectif de cette mise à jour ?

Site web du dojo des Guilands (refait)

C’est vrai, les sites internet sont nos premières vitrines. Le design des sites évolue très vite, et en 3/4 ans, ils paraissent déjà vieillots ou obsolètes. Il faut donc y réinvestir très régulièrement, pour les garder attrayants et au goût du jour (particulièrement si on souhaite toucher un public jeune).

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14/ Tu as choisi (à l’instar d’Hélène Doué) de séparer ton activité d’enseignant au dojo des Guilands, de ton site personnel, en deux sites web : pourquoi cela ?

Site web personnel de Fabrice Croizé
Je ne sais pas si c’est la bonne solution, mais c’est la seule que je voie: nos activités d’enseignant libéral concernent particulièrement les stages. Or ceux-ci peuvent être très déconnectés de la vie du club. Il faut donc un site personnel pour se présenter, annoncer un calendrier, être joignable, etc.
Par contre, un dojo est une communauté: il y a un enseignant qui sert de moteur, c’est vrai, mais aussi des débutants, des anciens, une dynamique générale, un état d’esprit… Le site internet ou la page Facebook doivent représenter tout ce groupe dans sa diversité. Aussi un site dédié me paraît essentiel.
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15/ Au-delà de ton métier d’enseignant, tu as aujourd’hui une posture de senseï respecté. Est-ce quelque chose que tu cherches à instaurer ou ce positionnement s’est-il mis en place malgré toi ? 

cours de Fabrice Croizé au dojo des Guilands

Un professionnel doit-il se positionner en senseï (au sens traditionnel du terme) dans le cadre du développement de sa carrière ?

J’y pense très peu. Plus les années passent, plus je pense qu’il est absolument inutile de « jouer au senseï», c’est à dire essayer d’imposer une distance ou une supériorité artificielle. 

La reconnaissance est donnée par les autres, et c’est tout. Inutile de courir après. De l’intérieur de soi-même, on ne sait pas toujours comment les autres vous positionnent, mais c’est une question illusoire : les avis sont mouvants, et essayer de se maintenir dans une posture est sclérosant, que celle-ci soit au dessus ou au dessous de son niveau réel.

En fait, on ne peut pas proposer un aïkido plus haut que ce que l’on est capable de produire sur le moment.

Aussi il ne me paraît pas important de chercher à maintenir une posture. Par contre, être exigeant avec soi-même pour progresser, constamment proposer quelque chose de meilleur par sa personne et sa technique, ça c’est le cœur de notre chemin et ne doit pas nous quitter.

 

Merci Fabrice !

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Vous pouvez retrouver Fabrice Croizé au dojo des Guilands pour suivre ses entrainements hebdomadaires ou le suivre dans ses stages en France et à l’international !

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