Comment devenir un bon professeur d’aikido ?

En aïkido, être un bon technicien ne fera pas de vous un bon professeur.

J’attache beaucoup d’importance à la pédagogie sur le plan professionnel, mais également personnel.

Depuis que je suis coach, je suis devenue encore plus sensible au sujet.

Pourquoi cette notion de pédagogie me tient-elle tant à cœur ? 

Car elle est essentielle pour transmettre un message, une idée, ou faire progresser un individu dans une discipline.

Étant aikidokate, je me suis confrontée à des méthodes pédagogiques non adaptées à mon fonctionnement (je parlerais même d’absence de pédagogie dans certains cas). 

Aujourd’hui, en tant que coach, mais également en tant qu’élève (cliente, patiente, ou adhérente selon l’activité), mes exigences de pédagogie sont très élevées. 

Car être un bon technicien ne fait pas de vous un bon formateur.

Car vous ne pouvez transmettre un savoir sans empathie et sans adaptation au public qui est devant vous.

Alors qu’est-ce qu’un bon pédagogue ? Comment l’intelligence émotionnelle peut-elle s’adapter au domaine de l’enseignement en aïkido ? 

Voici donc 10 règles (subjectives) pour devenir un bon professeur d’aïkido  !

.

1/ S’adapter au niveau de son public

Vous aurez beau avoir préparé un un cours bien rodé, vous ne pourrez être pertinent si votre public n’est pas adapté à votre programme (ou inversement).

Vous devez donc adopter une agilité intellectuelle pour moduler votre trame à votre public de manière à interagir avec lui. 

La pédagogie n’est pas un cours magistral, c’est un enseignement vivant. 

Si vous avez préparé un cours pour un public d’élèves avancés et que vous vous retrouvez face à des débutants, il vous faudra faire une croix sur une partie de votre déroulé de cours, et revenir sur des fondamentaux.

En aïkido, si votre public est composé de petits gabarits et que vous avez toujours eu l’habitude de réaliser une technique qui passe uniquement parce que vous êtes costaud, il vous faudra trouver un moyen d’adapter la technique à un gabarit plus petit ou plus léger. L’aikido étant une discipline pour tous, il n’y a pas de raison qu’une femme de 50 kg ne puisse pas passer une technique à un homme de 90 kg ! 

Mais c’est votre expertise et la maîtrise de votre domaine de compétences qui vous permettra de vous adapter sans être trop gêné.

.

2/ Se remettre en question régulièrement

Lorsque vous enseignez, vous pouvez vous confronter à un public qui ne comprend pas ou n’arrive pas à mettre en application ce que vous montrez ou démontrez.

Bien sûr, il peut s’agir d’un cas isolé qui éprouve de réelles difficultés.

Mais si ce problème revient régulièrement sur un échantillon d’élèves plus conséquent, il faut vous remettre en question en vous demandant : 

  • Pourquoi l’ensemble de ce groupe ne comprend pas mon message ?
  • Qu’est-ce qu’il ne comprend pas précisément ?
  • Comment puis-je transmettre différemment ?

Ce doute est sain et surtout, vous permettra de monter d’un niveau dans votre parcours de formateur. 

Concrètement, quand un élève n’a pas compris votre explication, ne lui répétez pas encore et encore la même chose : le problème n’est pas auditif. Trouvez une autre approche (visuelle, auditive ou kinesthésique ) adaptée à l’élève ou au groupe.

En tant qu’aikidokate, j’ai une mémoire auditive, par conséquent, une pédagogie basée sur la répétition ou l’enseignement “muet” ne me correspond pas. De même, la démonstration des techniques en miroir brouille ma mémorisation, c’est pourquoi, il est très appréciable de voir un enseignant réaliser la technique dos aux élèves pour être dans le même sens qu’eux.

.

3/ Se former en continu et de manière diversifiée

Le principal piège du professeur, c’est de se reposer sur ses lauriers : transmettre ce qu’il sait sans actualiser ses connaissances (ou compétences). 

Or, il est indispensable de se renouveler pour être à jour de sa discipline et adapter la pédagogie aux besoins actuels de son public. 

C’est pourquoi il est essentiel de se former en continu, dans des écoles différentes pour diversifier et croiser ses savoirs, comprendre d’autres manières d’enseigner et de fonctionner mais surtout proposer un enseignement plus solide.

L’une des principales lacunes des enseignants titulaires, en milieu scolaire, c’est de ne pas avoir exercé d’autres métiers avant, et par conséquent, être déconnectés du monde du travail que leurs élèves vont intégrer dans quelques années.

Dans le cadre d’une discipline sportive, comme l’aïkido que je pratique, la lacune pédagogique se fait ressentir quand l’enseignant n’est jamais allé s’entraîner dans d’autres dojos : il ne s’est pas confronté à un public qui réagit différemment à ses techniques, et reste ainsi dans une zone de confort.

.

4/ Ne pas donner trop de conseils à la fois

Le piège quand on veut aider ses élèves à progresser, c’est de les surcharger de conseils. Mais il est important de donner le bon conseil au bon moment, d’une part, et d’autre part, de ne pas donner trop de conseils à la fois.

Mon professeur d’aïkido, Arthur Frattini enseigne avec le principe suivant : 3 conseils maximum pour une technique. Après cela, l’élève sature, ou pire, se sent découragé. 

En aïkido, je me suis déjà retrouvée frustrée de ne pas pouvoir avancer car j’avais reçu des conseils que je ne pouvais pas activer à mon niveau. Mon corps n’avait pas encore intégré certains mouvements qui partaient des hanches, et que seules les années allaient pouvoir me permettre d’y arriver. En attendant, j’étais demandeuse de conseils plus pragmatiques sur la manière d’améliorer mes déplacements ou de mieux contrôler mon partenaire. 

Par ailleurs, l’enseignant doit également adapter son enseignement aux capacités d’apprentissage et d’assimilation de ses élèves pour pouvoir leur demander plus ou non. Il est intéressant d’être exigeant envers des élèves qui ont ont un réel potentiel à exploiter, mais d’être plus indulgent avec d’autres dont la marge de progression est plus faible.

D’ailleurs, on le voit bien sur le tatami : quand le professeur ne dit plus rien, c’est souvent qu’il a abandonné l’idée de la progression chez l’élève.

.

5/ Valoriser les acquis de l’élève

Lorsqu’on est enseignant ou formateur, on veut permettre à ses élèves de devenir les meilleurs, et notre niveau d’exigence peut être élevé. 

Mais il peut nous arriver de valoriser les acquis ou les progrès réalisés depuis les derniers mois ou dernières années.

Ces moments de valorisation de l’élève sont essentiels et lui permettent :

Partir du principe que ce qui n’est pas critiqué est bien et passer sous silence ces acquis, est selon moi une erreur pédagogique fondamentale. Derrière un élève, il y a un humain doté d’une sensibilité. Pour ne pas décourager son élève, il est important de lui rappeler ce qu’il fait de bien, pour renforcer une confiance en lui, souvent fragile…

Lorsque j’ai débuté l’aikido, (je n’étais même pas 5ème kyu), un enseignant m’avait dit : “ce n’est pas de l’aikido, c’est de la merde”. La remarque n’était peut-être pas intentionnellement mauvaise, et on pourrait la qualifier de simple bourde, mais l’impact de cette remarque a été terrible sur ma confiance en moi. Je me suis sentie peinée, nulle et découragée. 

En tant que coach, je fais donc très attention aux mots que j’emploie pour encourager mes clients. Je sais qu’ils peuvent avoir un impact très important dans leurs résultats mais surtout dans leur équilibre émotionnel. Un élève dégoûté, apeuré ou affecté n’aura aucune raison de s’accrocher à un projet ou un objectif qui lui tenait pourtant à cœur.

Un bon enseignant pense d’abord à la progression de son élève en le valorisant et non en lui mettant des bâtons dans les roues. La question n’est pas tant d’insister sur ce qui ne va pas, en enfonçant le couteau dans la plaie, mais au contraire, de donner des clés pour aller de l’avant. Car au final, l’objectif d’une bonne pédagogie en aikido est un déclic ou un résultat défini en amont.

.

6/ Fixer un objectif avec son élève

Un bon enseignant ou formateur va fixer avec son élève, des objectifs pédagogiques atteignables. C’est un contrat tacite (ou officiel, dans le cadre du coaching). 

Le coach se donne une obligation de moyen, et doit en informer le client. 

Dans le cadre de l’aïkido, les objectifs passent principalement par les passages de grade. 

L’enseignant et l’élève s’engagent à atteindre un objectif de grade à telle date. L’enseignant donnera tout au long de l’année, des clés à l’élève pour l’aider à atteindre cet objectif et le mettra en situation de d’examen réel pour le conditionner au jour J. De son côté, l’élève s’engage à être assidu, accueillir les conseils de son enseignant et travailler ses axes d’amélioration. 

Ce contrat tacite est essentiel pour développer une relation saine avec son élève en remplissant sa part du contrat, en tant qu’enseignant. Si l’élève révise seul, sans que l’objectif soit validé par son enseignant, c’est l’échec assuré. En effet, l’enseignant n’est pas au courant de ses objectifs et ne peut ni les valider avec lui, ni lui donner les bons conseils. C’est ce qui m’est arrivé lors d’un passage de grade que j’avais préparé en bachotant de manière intensive et que je n’ai finalement pas obtenu : mon niveau était insuffisant. Cependant j’aurais souhaité être accompagnée ou du moins orientée dans cette préparation que j’avais entreprise seule, sans conscience de mon niveau. J’ai eu l’impression d’avoir été envoyée à l’abattoir et pour tout vous dire, je l’ai eu mauvaise !

C’est cet accord initial et formalisé entre l’élève et l’enseignant qui posera les bases d’une pédagogie saine et efficace. 

.

7/ Expliquer ce qu’on fait à ses élèves

 

Être un bon pédagogue, c’est expliquer ce qu’on fait pour permettre à ses élèves de comprendre le procédé ou l’exercice.

En aïkido, montrer ne suffit pas. Et je dirai même, montrer 4 fois ne suffit pas toujours. Il faut parfois du temps pour qu’un débutant mémorise ce qu’il a vu. 

Combien de fois ai-je vu des démonstrations “magiques” où en l’espace d’un mouvement, uke est au sol, et mon cerveau n’a pas eu le temps de comprendre ce qu’il avait vu. Manque de bol, après 4 passages éclair réalisés par le magici…le professeur, c’est au tour des élèves de se débrouiller pour reproduire ce qu’ils ont déjà oublié.

C’est pourquoi, il est important de nommer les techniques que l’on montre, d’expliquer le rôle de l’attaquant et de l’attaqué (uke et tori) mais également d’adapter les explications aux élèves présents : il peut même être intéressant de rajouter des détails pour les élèves gradés, et de simplifier la technique pour les débutants. 

Dans ces démonstrations “flash”, mon professeur Arthur Frattini m’a donné une astuce pour que chacune des quatre démonstrations de la technique soit intégrée : d’abord, regarder la technique en général et mémoriser son nom, puis les pieds, puis les mains, puis l’entrée.

.

8/ Admettre ses erreurs ou son ignorance

Une grande marque d’humilité est l’acceptation de ses propres limites. Et je dirais même, la transparence autour de ces limites, ces dernières pouvant être des erreurs ou de l’ignorance.

Lorsqu’un enseignant ne sait pas répondre à la question d’un élève, il est important qu’il l’admette et lui informe qu’il va se renseigner.

Lorsqu’un enseignant d’aïkido a donné des explications floues, il est important qu’il revienne dessus en l’admettant.

En aïkido , j’apprécie également quand l’enseignant fait passer au milieu des élèves qu’il ne connaît pas ou de niveau et gabarit qui ne lui sont pas familiers : certes, cela peut l’amener à ne pas réussir sa démonstration, mais en sortant de sa zone de confort et en avouant sa difficulté à passer sa technique à un moment T (l’autodérision est intéressante), cela rend sa pédagogie plus humaine et accessible.

Admettre ses erreurs ou son ignorance, c’est paraître plus humain, plus accessible et plus humble auprès de ses élèves.

.

9/ Etre un bon encadrant

Un bon professeur d’aïkido est avant tout un bon encadrant ! Sur le tatami, il s’assure de la sécurité des élèves en prenant en compte la disposition de la salle (notamment en vue de chutes), la tenue des élèves (kimono propre, hygiène personnelle) et leur comportement (agressivité, élève dans un état second).

Comme un serveur dans un restaurant, il saura user de son oeil de lynx pour avoir une vision 360 de la salle et intervenir au moindre besoin. 

Par conséquent, il interviendra dans la répartition des niveaux et des gabarits sur des techniques spécifiques, mais saura repérer les tensions s’il y en a sur les tatamis et en dehors.

Un bon professeur d’aïkido a un rôle fédérateur en générant une émulation de groupe positive tout en évitant la “gourouisation” de sa personne. 

Il ne prendra pas partie en cas de désaccord entre les élèves mais saura être juste et intervenir si la situation l’exige.

Rassembleur, arbitre, protecteur, le professeur d’aïkido possède plusieurs casquette qu’il peut changer à bon escient.

10/ Rester accessible et disponible pour ses élèves

Il est essentiel qu’un enseignant, coach ou formateur reste accessible hors temps d’enseignement pour ses élèves.

Car non, l’apprentissage ne se limite pas à la session de travail ou d’entraînement réalisé ensemble. Le suivi prend tout son sens hors des cours.

Concrètement, cela peut se traduire pour un coach, par la possibilité d’être contacté de manière asynchrone. C’est personnellement ce que je propose à mes clients grâce à des échanges par messages vocaux et mails illimités sur une période définie avec une réactivité sous 24 heures pour ma part.

En aïkido, j’ai toujours apprécié lorsque les professeurs prenaient des nouvelles des élèves absents ou non réguliers pour prendre la température.

La mise en place d’une vie de club au travers d’événements réguliers est également importante pour permettre à l’enseignement de créer des contacts plus informels avec ses élèves et se rendre accessible et disponible. Ces événement cassent la vénération du “sensei” qui peut-être une tendance malsaine si l’enseignement ne fait pas attention à bien casser ce culte qui le place dans un rapport hiérarchique fort, voire de supériorité, avec ses élèves.

L’accessibilité passe par l’ouverture, et l’ouverture par un décloisonnement des portes ! 

.

Conclusion 

Cet article qui devait être un petit post Instagram s’est transformé au fur et à mesure de sa rédaction en véritable article de blog ! Le sujet est particulièrement dense et la réflexion me tenait vraiment à cœur. La pédagogie est à l’image de l’intelligence émotionnelle (son corollaire), une valeur fondamentale à mes yeux et ne peut se limiter à des trames et formations théoriques. Le meilleur enseignant n’est pas celui qui a le diplôme, qui a le plus d’expérience ou d’expertise. Le meilleur prof d’aikido, c’est celui qui sait aider ses élèves à se dépasser, tout en leur permettant d’évoluer en prenant du plaisir. 

👉 Si vous souhaitez pratiquer l’aikido avec moi, je pratique actuellement à Pantin !

👉 Si vous souhaitez recevoir mes prochains contenus par mail, abonnez-vous à ma newsletter !

Partager

2 thoughts on “10 règles essentielles pour devenir un bon professeur d’aikido (d’un point de vue d’élève)”

  1. Bonjour Yeza

    Je suis tes newsletter depuis un moment et je trouve ton point de vue très intéressant, “rafraichissant”.
    En ce qui concerne ton article sur les qualités d’un enseignant, j’ai envie de préciser deux choses par rapport à mes souvenirs de débutante et mon expérience actuelle de plus “gradée”:
    – l’enseignant a un rôle fondamental pour inciter les “anciens” (pas forcément les gradés) à prendre en charge les débutants sur le tatami et non les laisser se retrouver à pratiquer ensemble. Notre enseignant attache une grande importance à cela et je pense que ça contribue à l’intégration des nouveaux ainsi qu’à leur progression. Je connais plusieurs personnes qui ont arrêté au bout de quelques moi car personne ne s’occupait d’eux (dans d’autres clubs!).
    – ceci dit, il faut que tout le monde s’y retrouve et il est important de laisser un moment de pratique par niveaux par ex en fin de cours. Ce principe est maintenant intégré à la plupart de nos cours et c’est bien pour tout le monde!
    – l’enseignant doit accepter que tous les pratiquants ne s’impliquent pas à fond dans la discipline (là j’avoue que ça a pu “pêcher” parfois…). Comme tu le dis, l’aïkido est pour tous, avec nos différences en terme d’âge, de vie privée et vie professionnelle. Si certains ne veulent/ peuvent pratiquer qu’une fois mais que cela leur plait et qu’ils s’accrochent, c’est respectable et l’enseignant ne doit pas leur renvoyer à la figure qu’ils ne s’investissent pas. Enfin, c’est mon avis…! Si en revanche le pratiquant est engagé dans une démarche de passage de grade fédéral, là c’est normal d’exiger un certain investissement.

    En ce qui concerne ton article sur les femmes, mon impression est que les femmes attirent les femmes! Nous sommes de plus en plus nombreuses dans notre club, probablement pas un hasard.
    Il est bien que les femmes accueillent plus particulièrement les nouvelles pratiquantes (rôle de “référente” féminine, encouragé par notre fédé).
    L’enseignant a un rôle à jouer, comme tu le dis, pour ne pas introduire de discrimination entre hommes et femmes.
    Dans notre club, les femmes sont incitées au même titre que les hommes à passer des grades, le brevet fédéral, nous sommes mises en avant plus particulièrement lors de manifestations comme les portes ouvertes par exemple.
    Mais lors des démos, les “cadors” vont être particulièrement à la tâche…
    Bon, ceci dit c’est plus compliqué pour les femmes de pratiquer en soirée, de retour d’une grande journée de boulot, quand il y a des enfants à la maison… C’est ce qui explique à mon avis qu’il y a un défaut de femmes dans les 30- 40 ans sur les tatamis! Pour ma part j’ai démarré à l’adolescence de mes enfants, donc voilà, je suis maintenant une “vieille” sur le tatami!

    Au plaisir de te lire!
    Véronique, pratiquante au Pré-Saint-Gervais (FFAB)

    1. Merci pour ce retour Véronique ! Je prends note de tes points sur l’enseignement pour un prochain article 😉
      Quand aux femmes, je pense aussi que les enfants peuvent expliquer cela, mais malheureusement, je ne pense pas que cela soit la seule explication…le déficit des 25/35 se constatant chez tout sexe confondu…

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *