J’ai eu le plaisir d’interviewer Hélène Doué, enseignante dans le 13e arrondissement de Paris, DFR de Normandie, et VIe Dan d’aikido. Hélène porte une vision plurielle de la pédagogie autour de l’aikido, et notamment auprès des jeunes générations. Dans cette interview, Hélène Doué compare les enseignements français et nippon et pose la question de la continuité pédagogique de l’aikido entre les jeunes et les adultes.

Qu’est-ce qu’un enseignant pédagogue en aikido ?

Crédit photo : Aiki-Kohai

Hélène Doué : Je pense qu’un enseignant pédagogue est quelqu’un qui, indépendamment de son niveau d’expérience, arrive à transmettre les éléments techniques, les principes et les valeurs de la discipline. Il tient le rôle de référent, et se met dans le même temps à la portée des élèves pour les aider à s’approprier les connaissances et les compétences propres à l’activité qu’il enseigne. La notion de relation entre le professeur et ses élèves, ainsi que des pratiquants entre eux fait sens en Aïkido, puisque la progression se fait à la fois en binôme et de manière collective. La mixité des élèves (âge, genre, expérience) donne ici un réel enjeu à cette pédagogie, afin d’être capable de proposer une pratique qui fédère le groupe, tout en répondant aux besoins de chacun.

On valorise souvent l’enseignement à la japonaise : silencieux et basé sur la répétition. Penses-tu que cette pédagogie soit toujours efficace en 2020 ? Et auprès des jeunes générations ?

Crédit photo et vidéo : Guillaume Errard

Hélène Doué : A mon sens, il est toujours délicat de faire des distinctions aussi tranchées entre enseignement japonais et français. Au Japon, les professeurs ne dispensent pas que des cours basés sur la seule reproduction en miroir, en France, on enseigne en école des cadres une transmission tant globale qu’analytique des techniques. Même si lu culture occidentale met plutôt en avant une transmission didactique tandis que la culture orientale privilégie la reproduction d’un modèle, les deux approches sont complémentaires et présentent chacune des avantages et des limites. En gardant cela à l’esprit, libre à chaque enseignant selon sa sensibilité et sa propre formation de s’approprier la manière qui lui correspond le mieux. Si l’on se focalise maintenant sur la manière dont cela est perçu par les jeunes générations de pratiquants, il me semble que ces derniers sont ouverts et réceptifs aux deux modes d’apprentissage. L’un, qu’ils connaissent en milieu scolaire et qui donne un cadre rassurant à la transmission des savoirs, l’autre qui se concentre sur l’action et la répétition, et qui favorise l’intégration des savoir-faire. Cette complémentarité d’enseignement permet de ne pas opposer systématiquement les deux cultures, et de dépasser la notion de tradition versus modernité.

Tu enseignes l’aikido aux enfants : comment rendre l’aikido ludique sans en “dénaturer” la pratique ?

Crédit photo : Aikido Club de Rouen (stage enfant 2017)

Hélène Doué : Il s’agit ici de comprendre que l’enseignement aux plus jeunes n’est pas linéaire d’une tranche d’âge à une autre. Dans mes cours, j’essaie d’appliquer la logique suivante : partir d’une transmission des règles fondamentales de la pratique pour les plus petits (le reishiki, les valeurs, le cadre général), pour ensuite se concentrer pour les plus grands sur l’enseignement des grandes familles de techniques et leurs principes transversaux  (le déséquilibre, le déplacement, le placement, le poids du corps…), et enfin tendre pour les adolescents vers la connaissance du répertoire et l’intégration de la construction technique (puisque l’on peut prétendre au passage de la ceinture noire à partir de 15 ans). La dimension ludique est présente en toile de fond pour chaque tranche d’âge, mais la part qui lui est accordée varie en proportion. Elle sera omniprésente dans un cours pour les tout jeunes enfants, alors qu’elle sera moindre dans un cours adolescent (mais présente quand même, à la demande des jeunes eux-même). Il existe de nombreuses manières de rendre une séance ludique, tout en respectant la discipline et ses codes, par des exercices, des mises en situation, des jeux, reposant sur des notions d’Aïkido ou transposés à l’imaginaire japonais.

L’erreur serait, à mon avis, de considérer le cadre de la pratique adulte comme seul modèle de cours, car toute modification du déroulé de séance, transposition d’exercice ou ajout de séquence spécifique, pourrait alors être vu comme un risque de « dénaturer » la pratique. Mais cela signifierait donc que la valeur de notre discipline reposerait uniquement sur la pratique adulte ? Ayant commencé l’Aïkido à neuf ans, je ne peux qu’attester du contraire, pour tout ce que m’a apporté la pratique enfant.

Pourquoi les parents viennent-ils inscrire les jeunes à l’aikido (et non au judo) ?

Hélène Doué : Nombre de raisons amènent les parents à inscrire leurs enfants aux arts martiaux, mais un des arguments souvent évoqués pour le choix de l’Aïkido est l’absence de compétition. Cette caractéristique de notre discipline permet à la fois d accueillir des jeunes qui se sont déjà confrontés à la compétition dans un autre sport et préfèrent s’orienter vers une activité de loisirs. Mais plus généralement l’Aïkido offre une alternative à la culture de performance et d’évaluation présente à l’école ou dans d’autres activités sportives. Ce qui permet aux jeunes les plus réservés par exemple de s’inscrire dans une dynamique collective, qui respecte le rythme de progression de chacun.

La mixité représente également un atout dans l’adhésion à la pratique, car il existe peu d’activités sportives dans lesquelles garçons et filles, ainsi que que toutes les tranches d’âges sont mélangées. Cela représente une gymnastique parfois un peu complexe à gérer pour les enseignants, mais engendre des interactions privilégiées entre élèves d’âges différents, entre pairs, entre garçons et filles, et crée de ce fait une dynamique de groupe assez unique.

Comment expliques-tu l’arrêt de la pratique de l’aikido des enfants/ados à leur passage à l’âge adulte ? Pourquoi cette rupture très fréquente ?

Crédit photo : Aikido Club de Rouen (stage enfant animé par Hélène Doué en 2017)

Hélène Doué : L’arrêt de la pratique des adolescents au moment de la transition vers l’âge adulte ne concerne pas spécifiquement l’Aïkido. C’est un phénomène général qui concerne toutes les activités sportives, et dont les explications sont en partie liée à cette période spécifique du développement des jeunes : le désir d’autonomie, le changement des centres d’intérêt, le rejet des activités choisies par les parents, l’image de soi et les désagréments physiques qu’entraînent la puberté…

S’ajoute à cela des éléments qui peuvent expliquer la rupture avec la pratique de l’Aïkido en particulier : le passage au cours adulte qui requiert une adaptation au rythme de pratique et une augmentation des exigences techniques, l’intégration à un nouveau groupe, le changement de référent pédagogique…tous les jeunes ne sont pas prêts à passer ce cap. Parfois, ce sont tout simplement les contraintes logistiques (horaires des cours adultes en soirée, accumulation d’activités extra-scolaires) qui ne permettent pas aux jeunes de poursuivre l’activité temporairement. Mais cela n ’exclue pas que ces derniers y reviennent par la suite.

L’Aïkido permet en principe une continuité de pratique au fil de la vie, c’est pourquoi il est bon de s’interroger sur les points que l’on pourrait améliorer dans l’accueil et le suivi des enfants pour atténuer ce décrochage à l’adolescence et ainsi favoriser leur épanouissement en cours adulte et la pérennité de leur pratique. Cependant, il me semble tout aussi important de garder à l’esprit que ce phénomène est normal, que l’enfance et l’adolescence sont des moments privilégiés pour expérimenter et découvrir des pratiques artistiques et sportives diverses. Et enfin, leur laisser la liberté de choix des activités pour lesquelles ils s’investiront à l’âge adulte.

 La pratique de l’aikido en milieu scolaire est encore rarissime. Pourquoi l’aikido n’arrive-t-il pas à s’imposer à l’école ?

 

Hélène Doué : Des enseignants de tous niveaux (maternelle, primaire, collège et lycée) ont déjà introduit l’Aïkido dans leurs établissements scolaires depuis de nombreuses années, mais ces initiatives n’ont pas encore pu être valorisées comme il devrait. Certaines fédérations sportives comme le Judo ou le Basket Ball proposent quant à elles des outils très complets à disposition de leurs enseignants, afin de faciliter la pratique de ces activités à l’école. L’Aïkido, notamment par les valeurs éducatives qu’il porte, a également toute sa place au sein de l’offre d’activités périscolaires, et suscite en ce sens l’intérêt du Ministère de l’éducation. Reste à mettre en forme les outils pratiques qui permettront aux professeurs d’Aïkido de proposer cette activité auprès des municipalités. Cela permettrait en tous cas d’encourager un plus grands nombre d’enseignants à porter cette démarche, et donnerait un cadre légitime à l’entrée de l’Aïkido à l’école.

 

Pour suivre les enseignements d’Hélène Doué, rejoignez Aikido en Seine le 13e arrondissement de Paris.

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