Depuis plusieurs années, la question de la parité en Aïkido revient régulièrement sur le tatami. Chaque 8 mars, les initiatives se multiplient pour “attirer plus de femmes” : stages dédiés, actions de communication, campagnes ponctuelles.

Mais malgré ces efforts, la progression reste lente.

Et si le cœur du problème ne se situait pas uniquement dans le manque de visibilité… mais dans la structure même de notre manière d’accueillir et de transmettre ?

À travers trois réflexions, nourries par l’expérience et la pratique, se dessinent des pistes pour repenser l’inclusion autrement : non pas en l’opposant à l’universalisme, mais en s’autorisant à écouter les besoins réels, à créer des espaces de confiance, et à prendre au sérieux ce qui freine la progression des femmes dans les arts martiaux.

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Et si l’universalisme de notre pratique méritait parfois d’être repensé ?

En France, on applique souvent un modèle universaliste dans la pratique de l’Aïkido : tout le monde pratique ensemble, quels que soient le genre, l’âge ou le niveau.

Et c’est une belle chose. Je fais partie de celles et ceux qui trouvent précieux le fait de partager le tatami avec des pratiquants de tous horizons, sans distinction.

Mais au Japon, j’ai observé autre chose.

Il n’est pas rare de voir des cours pensés pour des publics spécifiques : femmes, débutants, seniors…

Par exemple, j’ai commencé mon séjour à Fukuoka par un cours réservé aux femmes. Et j’y ai ressenti une vraie sororité, une forme de sécurité et d’intimité qui facilite l’entrée dans la pratique.

Ces observations posent deux questions :

  • Une question de pédagogie : si des cours débutants existent ici, c’est qu’on considère qu’il y a un besoin d’initier en douceur, de prendre le temps de transmettre autrement. Pas en simplifiant, mais en accompagnant autrement.

  • Et une question de lien social : proposer un cours pour femmes, ce n’est pas tant une affaire de technique qu’un geste d’inclusion.

Ce n’est pas tant que les femmes doivent pratiquer différemment, mais il s’agit plutôt de reconnaitre qu’un espace entre femmes peut parfois faciliter l’entrée dans une communauté.

Concrètement, il s’agit de créer un cadre de confiance, de partage et d’écoute : un lieu où l’on ose commencer, revenir, ou simplement se sentir à sa place.

Alors oui, vous allez peut-être me dire qu’il existe des cours débutants, et même quelques cours pour femmes, en France…

Mais soyons honnêtes : il n’y en a pas tant que ça, et les cours spécifiquement pensés pour les femmes sont encore plus rares.

Encore une fois, je ne cherche pas à dire que le modèle japonais est meilleur.

Mais peut-être qu’il nous invite à réinterroger certaines évidences.

Est-ce qu’en voulant que tout le monde pratique ensemble, on ne passe pas parfois à côté de ce qui permettrait à davantage de personnes de franchir la porte d’un dojo ?

L’universalisme est une valeur forte.

Mais elle ne doit pas nous empêcher d’accueillir la pluralité des besoins.

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Ce que les cours réservés aux femmes changent dans la pratique

J’ai eu la chance de participer à plusieurs Women Classes au Japon, notamment au Hombu Dojo à Tokyo et à Fukuoka. Et à chaque fois, j’ai ressenti quelque chose de très particulier : un climat de bienveillance, de concentration et de sororité, bien différent des cours mixtes classiques.

Voici ce qui m’a marquée :

  • Il y a souvent moins de monde, ce qui permet de pratiquer dans un cadre plus aéré, plus fluide, plus intime.

  • Les enseignants participent aux échanges et font uke, ce qui permet d’apprendre au contact direct du professeur.

  • On change de partenaire à chaque technique, ce qui encourage les échanges entre toutes les pratiquantes, et renforce les liens.

  • On se confronte à des petits gabarits, ce qui peut obliger à affiner sa posture, son centrage, sa précision technique.

  • Et surtout, on trouve un véritable esprit de sororité : salut final en cercle, échanges après le cours, entraide spontanée.

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Ces espaces ne sont pas là pour “protéger” les femmes, mais pour leur offrir un cadre dédié où la pratique se fait en confiance. Et c’est parfois ce dont on a besoin pour se sentir à l’aise.

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Il est aussi important de rappeler que cette logique d’accueil ne se limite pas au temps de pratique : l’inclusion passe aussi par des choses aussi concrètes que… la présence de vestiaires dédiés aux femmes, ce qui n’est toujours pas garanti dans certains dojos.

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8 mars : si on voulait plus de parité sur les tatamis, voilà ce qu’on ferait

Chaque année, à l’occasion du 8 mars, on met en avant des actions pour “attirer plus de femmes” dans les arts martiaux. On organise des stages, des événements, des promotions… puis on passe à autre chose.

Mais atteindre la parité en Aïkido, ce n’est pas juste une question de communication.

C’est un travail de fond, qui repose sur trois axes essentiels :

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1/Attirer des femmes sur les tatamis pour tendre vers la parité

On ne peut pas se contenter de dire “venez pratiquer” sans s’interroger sur ce qui empêche certaines femmes de franchir la porte d’un dojo.

  • Les contraintes logistiques et la charge mentale : boulot, enfants, emploi du temps chargé… difficile de caser un entraînement dans tout ça.

  • Le doute et l’auto-censure : “Est-ce que je vais être à la hauteur ?”, “Est-ce que ce sport est fait pour moi ?”

  • Le manque de représentativité : dans beaucoup de dojos, les femmes restent sous-représentées parmi les pratiquants… et encore plus parmi les enseignantes. Et dans les grands stages, ce sont souvent les mêmes figures féminines qui sont mises en avant, comme je l’écrivais déjà l’an dernier.
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Attirer plus de femmes sur les tatamis ne se résume pas à une campagne de communication bienveillante.

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Il faut agir sur les freins concrets, sinon les choses resteront au même point.

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2/ Lutter contre le décrochage féminin de la pratique

Parce qu’une fois qu’elles sont là, encore faut-il qu’elles restent.

Et là encore, il y a des blocages invisibles à lever.

Quand, dès le début, on envoie des signaux qui font comprendre aux femmes qu’elles sont “différentes”, ça influence leur progression et leur confiance en elles.

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  • C’est aussi ce qui joue dans le passage des grades.

  • C’est aussi ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a moins de femmes gradées et moins de femmes enseignantes.

  • C’est aussi ce qui fait que certaines n’osent pas s’imposer sur le tatami, alors qu’elles en ont toutes les compétences.

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Oui, on peut dire que certaines ont eu des “grosses pauses” dans leur pratique, grossesse, enfants, des interruptions de carrière martiale.

Mais ça n’explique pas tout.

Ne devrait-on pas également regarder comment le manque de confiance et le sexisme ordinaire freinent la progression des femmes ?

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3/ Sensibiliser tous les pratiquants au sexisme ordinaire

On parle souvent de savoir se défendre comme une compétence physique.

Mais savoir se défendre, c’est aussi apprendre à reconnaître et déconstruire les mécanismes qui minimisent la place des femmes dans les arts martiaux.

Et si on utilisait les tatamis pour autre chose que des cours de self-défense ?

  • Pourquoi ne pas organiser des ateliers sur la confiance en soi dans la pratique ?

  • Pourquoi ne pas sensibiliser sur le sexisme ordinaire et les biais inconscients dans les clubs ?

  • Pourquoi ne pas donner des outils concrets aux femmes pour qu’elles puissent prendre leur place, non pas en opposition, mais en légitimité ?
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Alors, on fait quoi ?

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Si on veut plus de femmes en Aïkido, il faut remonter à la source. 

  • Ce n’est pas juste une question de marketing et de communication.

  • Ce n’est pas juste une question d’apprentissage de la self-défense.

  • C’est une question de structure, de mentalités, d’environnement.

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Oui, continuons à organiser des stages et à promouvoir la pratique féminine. Mais ne nous arrêtons pas là.

Parce que si chaque année, on ressort les mêmes affiches et qu’en fin de compte, la dynamique ne change pas, c’est qu’il est temps de changer de stratégie.

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Conclusion

Ces trois réflexions n’ont pas vocation à opposer deux modèles, ni à désigner des coupables.

Elles visent simplement à élargir notre regard sur ce que peut (et doit) être un cadre inclusif en Aïkido.

Créer des espaces de confiance, écouter les freins spécifiques, adapter les formats, garantir des conditions matérielles décentes (comme l’existence de vestiaires), agir sur les représentations…

Ce sont autant de leviers pour faire en sorte que les femmes puissent pratiquer pleinement, progresser, et transmettre à leur tour.

Penser l’inclusion, ce n’est pas ajouter une option au modèle existant.

C’est accepter que l’égalité d’accès demande parfois des formes d’adaptation. Non pas pour exclure, mais pour mieux accueillir.

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