À la lecture de nombreux commentaires sur Facebook concernant mes articles, certains prônant une vision “traditionnaliste” de l’Aïkido tout en refusant d’accepter les évolutions du monde dans lequel notre art martial se pratique aujourd’hui, nous avons décidé de prendre la parole.

Qui sommes-nous ?

Je m’appelle Yéza Lucas, pratiquante d’Aïkido depuis 7 ans, 2e dan, titulaire du Brevet Fédéral, et auteur de ce blog, Aikido-Millennials. À mes côtés, Stéphane Ethève, 5e dan et Directeur Fédéral Régional pour la Ligue de La Réunion, à l’origine de nombreux projets pour la jeune génération, notamment le Pôle Espoir (anciennement pôle jeunes) de La Réunion.

Cet article, à la fois simple et direct, prendra la forme d’un dialogue sous forme de questions-réponses sur des thématiques telles que notre vision de l’Aïkido, la manière dont nous pratiquons et transmettons la discipline, la pédagogie, et comment l’Aïkido peut s’adapter au monde d’aujourd’hui, notamment en termes de communication. 

Nous pensons qu’une vision d’un Aïkido figé dans le passé ne peut qu’entraver son développement en 2024. Refuser d’évoluer, c’est couper la discipline de ses potentiels futurs pratiquants, en particulier les jeunes, que tant de clubs cherchent à attirer.

Cet article apporte notre vision et notre réflexion sur les risques d’une approche trop centrée sur le passé ou d’un “âge d’or” de l’Aïkido, qui pourrait freiner l’évolution de la discipline et son adaptation aux attentes des nouvelles générations.

Sur la forme, je commencerai par répondre aux questions avec mon retour d’expérience personnelle de pratiquante, tandis que Stéphane présentera un point de vue plus étoffé d’expert sur les différents sujets que nous aborderons.

La réflexion sera articulée en 4 grandes thématiques (et fera l’objet de 4 articles) : visions plurielles de l’aïkido, enjeux de la communication pour l’aïkido, incarnation de l’esprit “Aiki” dans la pratique et au-delà, et professionnalisation Vs Bénévolat dans l’Aikido.

 

L’aïkido : qu’est-ce que c’est ?

  • Y-a-t-il une définition intelligible de l’aïkido pour le présenter auprès du grand public ?

 

Yéza (Aikido-Millennials)

Je vais commencer par donner la définition (synthétisée) qui a été validée lorsque je préparais mon Brevet Fédéral  : 

 

L’aikido est une discipline martiale japonaise moderne se pratiquant essentiellement dans un dojo, sur des tatamis.

 

L’aïkido permet de gérer les attaques d’un partenaire (appelé Uke) grâce à la création d’un déséquilibre aboutissant sur des projections (chutes) et des immobilisations (clés articulaires). Les attaques peuvent prendre la forme de saisies et de frappes.

L’un des principes de l’aïkido est de ne pas porter atteinte à l’intégrité physique de son partenaire. La bienveillance envers ses partenaires et le respect de l’étiquette (reishiki) garantissent un cadre sécurisant pour les pratiquants.

La particularité de l’aïkido est la relation entre uke (l’attaquant) et tori (celui qui réalise la technique) : on parle ici de partenaire et non d’adversaire, et pour cause, l’aïkido n’est pas une discipline compétitive. Néanmoins, la progression technique passe par le biais d’examens pratiques : les passages de grade 

La richesse de l’aïkido vient de la pluralité des modes de pratique : debout (tachi waza), à genoux (suwari waza) et à genoux pour tori face à uke debout (hanmi handachi waza). De plus, la pratique peut se réaliser à main nue ou aux armes (buki waza) : ainsi, on peut pratiquer avec un tanto (tanto dori), un jo (jo nage, jo dori, ou jo tai jo) ou avec un bokken (aikiken, ou tachi dori)”

Je vous ai épargné quelques paragraphes, mais voici ce qui ressort d’une définition validée en interne (on parlait d’ailleurs au BF de logique interne et non de définition).

Pour le grand public, je simplifierais le choses en disant que l’aïkido est un art martial sans compétition qui se pratique dans un dojo sur des tatamis. Le principe de base est l’application de clés articulaires. Par ailleurs, comme au judo, on apprend à chuter pour ne pas se faire mal. Je préciserais également que l’aïkido peut se pratiquer à mains nues, ou avec des armes (sabre, bâton, couteau), debout, l’un à genoux et l’autre debout ou complètement à genoux. Et je finirai par dire que la pratique est accessible à tous, quelques soit son âge, son sexe, ou sa taille. Dans une conversation, on peut toujours ajouter des détails selon l’intérêt de son interlocuteur : par exemple, préciser que l’on passe des grades comme au judo, et parler de mon expérience personnelle, mais également des bienfaits de l’aïkido dans mon quotidien. En résumé, je pense que la logique interne part d’une bonne intention mais doit être adaptée à notre auditoire pour “vendre” l’argumentaire le plus susceptible de le toucher

Stéphane Ethève : 

L’Aïkido est un art martial japonais unique en son genre, à la fois par sa philosophie et sa pratique. Contrairement à d’autres disciplines martiales, l’Aïkido est non compétitif : il n’y a pas de vainqueur ou de perdant. On pratique à deux, avec des rôles distincts – uke et tori – où l’un attaque et l’autre défend. Toutefois, il est aussi possible de travailler en groupe, ajoutant une dynamique collective.

Ce qui rend l’Aïkido particulièrement puissant, c’est sa finalité. Bien sûr, il enseigne des techniques de défense, car c’est un art martial. Mais selon moi, l’Aïkido va bien au-delà de la simple self-défense. L’apprentissage des techniques est essentiel, et il ne faut pas négliger cet aspect, mais je pense que réduire cette discipline à de la self-défense serait passer à côté de sa véritable richesse. À mon avis, l’Aïkido est un chemin vers la construction de soi, bien plus qu’un moyen de se défendre physiquement.

L’Aïkido permet de développer non seulement le corps, mais aussi l’esprit et le cœur. Par exemple, sur le plan moteur, il enseigne la coordination, la souplesse, la tonicité et l’équilibre. Mais il y a aussi un travail cognitif : la mémorisation des techniques, la gestion des émotions, la confiance en soi. Et surtout, l’Aïkido est une école de la relation à l’autre. À travers les échanges avec le partenaire, on apprend le respect, l’intégrité, la gestion des conflits sans violence.

Selon moi, l’idée même d’harmonisation – avec soi-même, avec l’autre, et avec l’environnement – est centrale. On ne cherche pas à vaincre l’autre, mais à créer une situation où les deux pratiquants sortent grandis de l’expérience. En dépassant l’aspect purement technique, on se concentre sur ce qui aide à se développer en tant qu’être humain complet. À mon avis, c’est ce qui rend l’Aïkido si unique et si précieux.

L’Aïkido propose plusieurs formes de travail : au sol (suwari waza), à genoux et debout (hanmi handachi waza), ou debout (tachi waza), avec ou sans armes (Jo, bokken, tanto). Ce qui rend cette discipline si accessible, c’est qu’elle est non violente et ouverte à tous, quel que soit l’âge ou la condition physique. Dans mon club, l’Aïkido Club de Saint-Pierre à la Réunion, notre doyen a 80 ans, et c’est impressionnant de voir à quel point il pratique avec énergie et fluidité.

L’Aïkido n’a pas de catégories de poids, ni de distinction de genre, mais cela ne signifie pas que c’est facile. La rigueur et l’exigence sont au cœur de la pratique, surtout pour les débutants. Cependant, c’est précisément cette difficulté qui forge le pratiquant et lui permet de progresser dans sa recherche d’harmonie et d’équilibre.

C’est sur ces aspects que je vois l’efficacité de l’Aïkido. Pour moi, il ne faut pas la confondre avec l’efficacité technique, qui, par définition, est indiscutable. Ce qui m’intéresse, c’est comment l’Aïkido rend les individus plus harmonieux, plus forts mentalement, émotionnellement et physiquement. La technique est un outil puissant, mais c’est son impact sur l’être humain dans son ensemble qui constitue, selon moi, la vraie efficacité de l’Aïkido.

Si je devais résumer ma pensée je dirai que L’Aïkido est un art martial japonais non compétitif qui vise à harmoniser le corps, l’esprit et les relations humaines, tout en enseignant des techniques de défense. Plus qu’une simple pratique de self-défense, il permet de développer des qualités physiques, mentales et sociales à travers une recherche d’harmonie avec soi, l’autre et l’environnement. Accessible à tous et non violent, l’Aïkido se distingue par son exigence rigoureuse et son impact profond sur l’épanouissement personnel.

L’aïkido : une pratique sportive ?

Préparation physique avec Stéphane Ethève
  • L’aïkido est-il un sport ?

 

Yéza : 

Je me suis déjà exprimée sur le sujet dans un précédent article mais oui, l’aïkido est un sport ! Et le sport ne se définit pas uniquement par la présence de compétition, sinon, un jogging dominical ne serait pas du sport ? Ça n’a pas de sens. Il n’y a pas d’incompatibilité entre pratique sportive et art martial. La dimension sportive ne dénature pas la pratique, et elle en fait partie ! Pourquoi Morihei Ueshiba s’entraînait-il si la pratique ne demandait pas une certaine condition physique ?

Rappelons également les  grands avantages de considérer l’aïkido comme un sport : 

  • Des bienfaits en matière de santé
  • Une reconnaissance officielle par le Ministère des sports et des facilités d’accès à la pratique grâce à des aides et subventions (pour les clubs et les pratiquants) 
  • Le sport attire les jeunes  et l’aïkido manque de jeunes ! En considérant l’aïkido comme un sport, on le pratique avec une intensité physique propice à la dépense énergétique, et c’est majoritairement ce que vient chercher le jeune public sur les tatamis ! Et c’est également le cas des débutants, qui, lorsqu’ils commencent la pratique font plus suer leur cerveau que leur corps.

 

Stéphane : 

Lorsque l’on me demande si l’Aïkido est un sport, je me retrouve face à une question plus complexe qu’il n’y paraît. Pour moi, le terme “sport” peut être interprété de plusieurs façons, et c’est précisément là que réside toute la richesse de cette notion.

1. L’Aïkido comme activité physique

D’un point de vue purement physique, il est indéniable que l’Aïkido correspond à une activité sportive. En tant que discipline martiale, il sollicite le corps, l’engage dans des mouvements précis, et nécessite de l’endurance, de la souplesse et de la coordination. Il est vrai que dans l’imaginaire collectif, le sport est souvent associé à la compétition et à la performance. Mais l’essence même du sport, c’est avant tout l’activité physique, le fait de se mouvoir, de se dépenser, de développer des compétences corporelles. À ce titre, l’Aïkido n’est pas différent des autres pratiques sportives, comme le football ou le judo.

Pierre Parlebas, sociologue du sport, a décrit ce cadre structuré où le corps est en action, encadré par des règles qui organisent le mouvement. Dans ce sens, je considère que l’Aïkido peut tout à fait s’inscrire dans la catégorie des sports, car il suit une logique similaire en termes de structure motrice et de pratique.

2. L’Aïkido comme discipline codifiée

Si on élargit la définition du sport en tenant compte de la codification des disciplines, alors l’Aïkido se rapproche encore plus de ce que l’on pourrait appeler un sport. Chaque sport possède des règles précises qui encadrent la pratique, que ce soit en compétition ou non. L’Aïkido a également ses propres règles, notamment en matière d’étiquette, de relation au partenaire, et de respect des valeurs fondamentales. Comme dans les autres sports, il y a une progression hiérarchique, marquée par les passages de grade et les démonstrations techniques. Ces moments d’évaluation et de performance font partie intégrante de la pratique, tout comme dans d’autres sports traditionnels.

Norbert Elias et Eric Dunning ont évoqué l’idée que le sport fait partie d’un processus de civilisation, où les règles permettent de canaliser les instincts humains, de structurer l’effort et d’encadrer la violence. L’Aïkido, bien que non compétitif, suit une démarche similaire en transformant l’effort physique et la confrontation en une voie de développement personnel.

3. L’Aïkido dans sa dimension sociale et culturelle

Là où je trouve l’Aïkido particulièrement proche de la notion de sport, c’est dans sa dimension sociale. Le sport, tel que je le conçois, ne se limite pas à une simple activité physique. Il dépasse le cadre individuel pour créer des moments de partage, de cohésion, et d’échange entre les participants. Que ce soit lors des entraînements ou des stages, l’Aïkido forge des liens, construit une communauté et véhicule des valeurs essentielles comme le respect, la persévérance, et l’harmonie.

Des sociologues comme Christian Pociello ou David Le Breton ont étudié le rôle du sport dans la construction des identités et des relations sociales. À mon sens, l’Aïkido, même s’il est perçu comme un art martial, s’inscrit dans cette dynamique. Il est un lieu de rencontre, où les individus apprennent à se connaître, à s’améliorer ensemble, tout en respectant une philosophie de non-compétition.

Pourquoi l’Aïkido n’est pas un sport compétitif ?

Je comprends pourquoi beaucoup de pratiquants, notamment parmi les anciens, ne considèrent pas l’Aïkido comme un sport. Cette discipline repose sur des valeurs de non-compétition, d’harmonisation et de respect de l’autre. Il n’y a ni gagnant ni perdant en Aïkido, ce qui va à l’encontre de la logique de compétition inhérente à la plupart des sports modernes. C’est pour cette raison que certains sensei réagissent avec fermeté quand on classe l’Aïkido comme un sport.

Cependant, cette vision me semble un peu réductrice. Elle se base sur une définition du sport trop étroite, axée uniquement sur la compétition. Si l’on élargit cette définition, en prenant en compte l’aspect physique, les règles, et la dimension sociale, alors l’Aïkido peut tout à fait être considéré comme un sport. D’ailleurs, l’État le reconnaît en tant que tel, puisqu’il est intégré au ministère des Sports.

L’Aïkido, un sport sans perdre son essence

En conclusion, pour moi, l’Aïkido peut être vu comme un sport, mais il est important de ne pas en perdre l’essence. Ce n’est pas parce que l’Aïkido se retrouve dans la catégorie des activités sportives qu’il doit perdre ce qui le rend unique : son absence de compétition, sa philosophie de non-violence, et son approche d’harmonisation. Si l’Aïkido est un sport, alors c’est un sport différent, un sport où l’objectif n’est pas de vaincre, mais de s’améliorer avec l’autre. C’est cette richesse et cette diversité qui font, à mes yeux, la véritable force de l’Aïkido.

Ainsi, je dirais que oui, l’Aïkido est un sport, mais c’est un sport d’une autre nature, qui s’inscrit dans une démarche unique.

 

  • S’entretenir en parallèle de la pratique : un artifice ?

 

Yéza :

J’entends régulièrement que l’aïkido est un art martial complet qui se suffit à lui-même. Personnellement, je ne suis pas d’accord. Le fondateur s’entretenait à sa manière dans une époque qui était la sienne. Peut-être qu’il coupait du bois et construisait des chalets, mais combien de pratiquants s’adonnent à cette pratique d’entretien physique aujourd’hui ? 

 

Quand on voit la condition physique d’un certain nombre de pratiquants, parfois hauts gradés, je me dis qu’il est urgent de communiquer sur le sujet de l’entretien physique, de l’alimentation et plus généralement de la santé. Nous pratiquons un sport qui demande le maintien d’une condition physique : comment travailler son centrage sans gainage ? Comment se déplacer à genoux lorsqu’on est très lourd ? Comment descendre sur ses appuis quand les genoux ne tiennent plus la route ?

 

En matière de pédagogie, le constat est affligeant : les enseignants transmettent leur technique dans la limite de leur condition physique : un enseignant qui ne chute pas peu difficilement inspirer ses élèves, un enseignement qui ne pratique pas en suwari waza ne peut pas l’enseigner à ses élèves, un enseignant qui ne s’entretient pas ne peut pas donner envie à un jeune public de venir pratiquer chez lui.

 

Il y a quelques années, j’avais parlé du rapport entre condition physique et communication, en affirmant que pour attirer un jeune public sur les tatamis, il fallait montrer une image d’enseignants entretenus physiquement. On m’est tombée dessus en me traitant de grossophobe (ce qui n’est clairement pas mon cas). D’autres senseis comme Bruno Gonzalez l’ont affirmé également, dans Dragon magazine (2022), mais son grade et son expérience du tatami font plus facilement taire les critiques.

 

Extrait d’interview de Bruno Gonzalez,  Dragon magazine, 2022

​​

En résumé, je dirais que : 

 

  • L’aikidoka a besoin d’entretenir un bon gainage pour travailler sur son centrage.
  • L’aikidoka a besoin de renforcer sa musculature, pour adopter de bonnes postures
  • L’aikidoka a besoin de travailler sur une bonne cadence, pour maintenir son endurance.

 

Stephane : 

Pour moi, s’entretenir en parallèle de la pratique de l’Aïkido, ou de n’importe quelle autre discipline physique, n’est pas un artifice, c’est une nécessité. Je ne peux tout simplement pas concevoir la pratique d’une activité physique et sportive, encore moins un art martial ou un sport de combat, sans une préparation physique adaptée.

L’idée que l’Aïkido se suffirait à lui-même, qu’il n’aurait pas besoin de cette préparation complémentaire, est pour moi une hérésie. Cela revient à méconnaître les exigences motrices, physiologiques et mécaniques de la discipline. C’est une vision complètement dépassée. À mon avis, pour pratiquer sainement et en toute sécurité, il faut se préparer physiquement de manière consciente et régulière.

Toutes les qualités physiques — endurance, vitesse, force, coordination, souplesse, tonicité musculaire — sont pour moi essentielles à développer en parallèle de la pratique technique. De plus, les capacités cognitives, comme la visualisation, la prise d’information, la prise de décision, et même la mémorisation, jouent un rôle crucial dans l’Aïkido. Ce n’est pas juste une question de force brute ou de technique pure, c’est une combinaison de tout cela.

Je ne dis pas qu’il faut se préparer comme pour les Jeux Olympiques (d’ailleurs, heureusement que les JO d’Aïkido n’existent pas !), mais il me semble indispensable de cultiver une certaine conscience corporelle, une culture du corps qui va au-delà du tatami. Cela inclut aussi une alimentation équilibrée et variée, une bonne hydratation, du repos, et en général une hygiène de vie saine.

Dans ma conception des choses, tout cela forme un ensemble cohérent et indissociable. Ce n’est pas un ajout superficiel ou un “plus” facultatif : c’est une condition pour pratiquer l’Aïkido de manière sereine, efficace et durable.

Si Morihei Ueshiba était vivant aujourd’hui, couperait-il du bois et fabriquerait-il des chalets pour s’entretenir physiquement ?

Yéza :  

 

Lui seul le sait ! Cependant, on pourrait imaginer qu’il s’adonnerait à des pratiques du 21ème siècle : sans aller jusqu’à l’abonnement à la salle de sport, il pratiquerait peut-être la marche, et surveillerait son alimentation. Par ailleurs, il méditait de son vivant. Rappelons que les pratiques méditatives sont également intéressantes pour limiter le stress, et ne demandent pas de condition physique régulière (mais beaucoup de concentration). 

 

Pour moi, il est vain de faire parler les morts, surtout ceux d’un autre temps et d’une autre culture. C’est avec ce type de réflexion que l’on peut virer dans une forme d’intégrisme de la pratique. Soyons vigilant.

 

Stéphane : 

Si Morihei Ueshiba était vivant aujourd’hui, couperait-il du bois et fabriquerait-il des chalets pour s’entretenir physiquement ? On va poser la question à ceux qui l’ont côtoyé. Il y en a qui sont encore vivants certainement (ils devraient être centenaires aujourd’hui – blague). Eh bien moi, je n’ai pas connu Maître Ueshiba personnellement, mais il est évident qu’il vivait dans une époque totalement différente de la nôtre. À son époque, il n’y avait ni salles de sport modernes ni cette culture du footing matinal qui fait partie de nos habitudes actuelles. Pour lui, couper du bois ou fabriquer des chalets faisait probablement partie de son quotidien, pas dans une optique d’entraînement spécifique, mais comme une nécessité de la vie. Ces activités, même sans y penser, contribuaient sans doute à entretenir sa condition physique.

Aujourd’hui, il est clair que peu de gens coupent encore du bois ou fabriquent des chalets pour rester en forme. Peut-être que Maître Ueshiba a coupé tout le bois disponible ! (Blague) Mais il est évident que dans son époque, ces tâches avaient une fonction autant physique que pratique, lui permettant de rester en bonne santé, ce qui, selon moi, reste un élément fondamental dans toute pratique martiale, surtout pour un maître comme lui.

Dans notre contexte actuel, comme je l’ai mentionné plus avant, la préparation physique est une composante clé, non seulement pour les performances en Aïkido, mais aussi pour maintenir la santé. Je l’ai dit, Il est erroné de penser qu’il y a “tout” dans l’Aïkido. Cette discipline sollicite énormément le corps, notamment les articulations, qui doivent être renforcées pour éviter les blessures. Cela ne signifie pas nécessairement de la musculation lourde, mais plutôt un renforcement musculaire adapté à la pratique de l’Aïkido.

Par exemple, l’endurance est cruciale. Il est important de muscler son cœur pour pouvoir soutenir des efforts prolongés. Il est également fondamental de protéger sa colonne vertébrale, y compris les cervicales, et cela passe par un travail de gainage (pas uniquement abdominal). Le renforcement musculaire ne vise pas seulement à améliorer la performance technique, mais aussi à prévenir les blessures et à assurer une bonne posture.

Quand on parle de préparation physique, il est important de comprendre le rôle des filières énergétiques, qui sont les mécanismes par lesquels le corps produit l’énergie nécessaire à l’effort physique. En Aïkido, ces filières sont particulièrement sollicitées, surtout lors des passages de grades ou des séances intensives :

  1. La filière aérobie utilise l’oxygène pour produire de l’énergie sur une longue durée, à intensité modérée. Elle est sollicitée lors des répétitions techniques ou des longues séances.
  2. La filière anaérobie lactique intervient quand l’effort devient plus intense et que les muscles produisent de l’acide lactique. C’est souvent le cas lorsque l’on enchaîne des techniques à une cadence rapide sans beaucoup de récupération. L’accumulation de lactates dans les muscles engendre de la fatigue, mais c’est un passage obligé lors d’efforts intenses, comme durant les tests de grades où l’on demande à un pratiquant de tenir un certain rythme.
  3. La filière anaérobie alactique est utilisée dans les efforts explosifs, de courte durée (quelques secondes). Lorsqu’on exécute un mouvement rapide et puissant pour projeter un uke, par exemple, c’est cette filière qui entre en jeu.

S’entraîner pour ces différentes filières est indispensable, car un manque de condition physique peut entraîner de la fatigue, altérer la qualité des mouvements et augmenter le risque de blessures.

Le renforcement musculaire est une véritable clé pour prévenir les blessures. En Aïkido, les articulations, notamment les poignets, les épaules, les coudes et les genoux sont particulièrement sollicités. Si les muscles qui les entourent ne sont pas suffisamment renforcés, le risque de blessure augmente considérablement. Le gainage, par exemple, est crucial pour protéger la colonne vertébrale, très sollicitée lors des torsions ou des chutes. En renforçant les muscles profonds, en particulier autour des abdominaux et du dos, on stabilise la colonne et on réduit le risque de blessures dorsales.

Aujourd’hui, nous vivons dans une société où la sédentarité est omniprésente. Beaucoup de personnes passent la majorité de leur temps assis, que ce soit au travail, à la maison ou dans les transports. Cette inactivité favorise l’apparition de maladies telles que le diabète, l’hypertension, et d’autres troubles musculo-squelettiques. Dans ce contexte, il devient crucial d’inculquer une culture de la préparation physique ! Et pourquoi pas en Aïkido ? Non seulement cela permet de contrer les effets négatifs de la sédentarité, mais cela aide aussi à prévenir les blessures, à maintenir une bonne condition physique et à améliorer la qualité de vie globale.

Maître Ueshiba, dans son époque, avait son propre mode de préparation physique adapté à son mode de vie. Aujourd’hui, cette préparation est toujours aussi essentielle, mais elle doit être adaptée à notre contexte moderne. Que ce soit pour des raisons de performance ou simplement pour la santé, il est nécessaire de maintenir une préparation physique adéquate dans la pratique de l’Aïkido. Et pourquoi pas, comme clin d’œil à l’époque de Maître Ueshiba, installer des troncs d’arbres à couper dans les dojos pour une préparation plus traditionnelle ? (Encore une petite blague !) Mais quoi qu’il en soit, selon moi, la préparation physique reste incontournable si l’on veut pratiquer l’Aïkido de manière saine et durable.

 

Suite au prochain épisode…

 

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2 thoughts on “Aïkido : quand la modernité déstabilise les défenseurs du passé (Chapitre 1 : Aikido, définition et vision)”

  1. Bonjour
    Merci pour vos deux articles qui méritent de se poser les bonnes questions sur l évolution de l Aïkido. Je pratique depuis 50 ans dont 27 ans avec un élève direct de O Sensei : maître Nocquet. Durant ses cours il nous parlait, transmettait son expérience de ses 3 années auprès du maître. J aimerai à ce titre vous apporter mon témoignage. Oui la préparation physique est primordiale ( gainage, étirements etc) mais aussi l esprit. Préparer l esprit au travail de uke et de Tori a la fois dans sa dimension psychologique que spirituel en font que l Aïkido n est pas sport mais un bien un art martial. Enfin je voulais vous précisez que O Sensei n avait pas de bois à couper dans son dojo pour l entraînement c est comme on dit aujourd’hui une Fake news. Quand à construire des ” chalets”( la notion de chalet n existait pas au Japon à cette époque) ,traditionnellement et par solidarité les habitants d un village s entraidaient à la construction de leurs maisons qui étaient en bois.
    Je vous souhaite une très bonne pratique d Aïkido et finirait par cette phrase de O Sensei à mon maître : ” derrière le visible se cache l invisible “

  2. Merci Yeza et Stéphane pour vos écritures qui amènent de la lumière sur cette magnifique discipline qu’est l’aïkido.
    Patrick Sermet
    Bourg en Bresse

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