Il y a quelques jours, lors d’une conversation avec Arthur Frattini, 5e dan et enseignant à Pantin, nous avons abordé le sujet des besoins des pratiquants en aïkido. 

Evidemment, ceux-ci diffèrent en fonction des aspirations de chacun. La difficulté est de créer une cohésion de groupe au sein d’un club en prenant en compte ces différentes motivations à la pratique. 

Comment le club et plus généralement la discipline peuvent-ils concilier des aspirations hétérogènes voire contradictoires ? Comment fédérer autour de valeurs communes et d’une pratique universelle (nomenclature commune, tout public) ?

C’est tout l’objet de cet article.

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1/ L’aïkido, une discipline martiale aux multiples valeurs et objectifs

Avant d’aborder le cœur du sujet, il est intéressant de définir ce qu’est l’aïkido, de manière à faire consensus sur une base commune.

Lorsque j’ai suivi mon premier cours de préparation au Brevet Fédéral, il nous a été demandé de co-construire une définition de l’aïkido. Même s’il n’y a pas de définition unique de ce que peut être l’aïkido, voici mon interprétation de ce qui est ressorti des échanges entre formateurs et pratiquants : l’aïkido est une discipline martiale permettant de développer une structure physique et éducative ainsi qu’une culture philosophique. Concrètement, la pratique permet de neutraliser des attaques grâce à des clés articulaires (immobilisations) et des chutes (projections). Encore une fois, la définition n’est pas arrêtée, et je ne prétends pas restituer au mot près ce qui est ressorti des échanges.  

Sur le plan technique, la pratique proposée par l’Aikikai de Tokyo sert de référentiel officiel car elle découle de la pratique du fondateur (avec des mutations proposées par ses successeurs). Il n’est pour autant pas question de dénigrer d’autres formes de pratiques alternatives. 

Une fois la définition et la pratique officielle reconnue, il est temps de porter attention à la vision et aux objectifs de la discipline : l’aïkido, dans son fondement, cherche à rendre le monde meilleur. Pour reprendre les propos cités par Aikido Nord Pas de Calais, “Selon le fondateur, Morihei UESHIBA, l’aïkido a pour objectif d’améliorer l’Homme, physiquement, techniquement et mentalement mais également sur le plan comportemental à travers l’éducation et la transmission des valeurs de respect, de solidarité, de tolérance et de paix.

L’Aïkido a pour particularité de prôner la coopération plutôt que la compétition, le partenariat plutôt que le combat, la maîtrise de soi plutôt que l’agressivité. L’aïkido s’inscrit dans une philosophie de non-violence”.

Cette vision se décline en différents objectifs pratiques : développer sa martialité et sa vigilance, relâcher son corps, développer les relations sociales dans un souci de respect et d’intégrité, etc. 

Aujourd’hui, les pratiquants s’inscrivent à l’aïkido pour des objectifs divers. Le défi de la discipline est de pouvoir y répondre tout en gardant une cohésion de groupe.

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2/ Identifier les besoins des pratiquants, un travail nécessaire 

L’aïkido propose différents objectifs découlant d’une vision bien définie. Sur le terrain, le défi est pour les clubs de mettre en avant ces objectifs dans leur communication, et d’attirer des adhérents aux aspirations diverses.

Dans les faits, les clubs choisissent des objectifs spécifiques sur lesquels communiquer selon les valeurs et la pratique qu’ils affectionnent. 

Lorsqu’un nouvel adhérent rejoint le club, il peut être en total symbiose avec les valeurs du club, mais il peut également l’être partiellement. La proximité, les horaires et les tarifs du club étant d’autres paramètres de choix pour se positionner.

Si l’on dresse un parallèle avec la politique, on pourrait dire qu’un candidat est élu pour un programme, mais une fois au pouvoir, doit être capable de composer avec les intérêts de tous les citoyens.

En aïkido, c’est aussi le rôle d’un club, et plus généralement, d’une fédération. 

A Pantin, Arthur a su identifier les besoins des différents pratiquants : certains recherchent un moment de socialisation et de bienveillance, d’autres, un travail de mobilité physique, d’autres encore, un travail de respiration ou de progression technique, ou encore le besoin de déjouer des attaques en situation réelle (efficacité). Certains veulent pratiquer les armes, d’autres les dénigrent. 

Pour ma part, je recherche dans ma pratique de l’aïkido, une efficacité en situation réelle, une activité physique qui se suffise à elle-même (complète), une précision technique, ainsi qu’un besoin de sens à tout moment de ma pratique. 

Pour aller plus loin, on peut rappeler, comme il est mentionné par l’aikikai en 1932 que Les enseignements de celui qui donne le cours ne représentent qu’un fragment de l‘Aïkido. Quand, par la recherche et l’entraînement quotidien et constant de soi-même, vous serez parvenu à la connaissance par le corps, le véritable usage des merveilles de l’Aïkido vous sera permis” En outre, on ne peut pas tout attendre d’un enseignant, car pour atteindre un objectif clair, la recherche devra avant tout être personnelle.

Ceci dit, l’enseignant, le club et plus généralement les fédérations peuvent oeuvrer à aider les élèves dans l’atteinte de leur objectifs en proposant une progression collective et individuelle, tout en gardant en tête, les grandes missions de l’aïkido.

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3/ Défi : Comment satisfaire des aspirations différentes et créer une cohésion de groupe

Les pratiquants sont des consommateurs aux attentes claires : que la discipline leur offre ce qu’ils sont venus chercher (objectifs). De ces attentes, peut découler un besoin d’immédiateté auxquels les clubs doivent faire face. 

C’est pourquoi, il est essentiel d’établir une communication claire auprès des adhérents. Concrètement, voici la forme qu’elle pourrait prendre : 

  • Rappel de la vision et des objectifs de l’aïkido auprès des pratiquants
  • Prise en compte de l’ensemble des objectifs et aspirations des élèves (cohésion de groupe)
  • Etablissement d’un contrat d’objectifs avec les élèves (progression individuelle)
  • Construction pédagogique d’une progression de groupe via les cours : mise en place de modules de cours thématiques (ex : Self défense, chutes, renforcement musculaires, déplacements à genoux etc ) et développement d’une vie de club pour renforcer la cohésion sociale

D’autres formes de progression sont possibles, le plus important restant d’établir un échange clair avec les pratiquants dès le début d’année et de le rappeler régulièrement. 

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4/ Focus : l’aikido et la self défense, entre intérêt et prise de distance 

L’aïkido est un art martial dit “non violent”. Lorsqu’on le vulgarise auprès du grand public, on dit souvent qu’il sert à retourner la force de son adversaire contre lui-même. Dans son message, l’aïkido véhicule des valeurs d’amour et de paix (sans sombrer dans le monde des bisounours). 

En parallèle, les besoins réels d’auto-défense et d’efficacité du grand public ne peuvent être niés. 

L’aïkido pourrait faire la sourde oreille et laisser au Krav Maga le monopole du combat de rue. Pourtant, l’aïkido peut apporter une réelle plus-value à la self défense : 

– En attirant un public en quête d’efficacité mais partageant des valeurs propres aux arts martiaux japonais : respect de l’intégrité physique, discipline etc… (le Krav maga n’est pas un art martial traditionnel et ne véhicule aucune valeur de paix, d’intégrité physique ou de respect)

– En fournissant un cadre bienveillant (le dojo) et en contribuant à rendre ses pratiquants respectueux de l’autre, et en leur permettant d’éviter des situations conflictuelles grâce au travail “défensive” (et non offensif) que nous apprend la pratique sur les tatamis. Dans ce contexte, les pratiquants partagent au dojo et dans leur vie personnelle, une volonté d’éviter des conflits au quotidien. Cette volonté de paix se traduit par le choix du cadre de vie dans lequel ils vont s’établir, mais également l’énergie qu’ils vont dégager en marchant. 

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Conclusion : le défi de l’aïkido, proposer un message fédérateur

L’aikido rassemble des pratiquants partageant des aspirations diverses. Son rôle est à la fois de composer avec les intérêts de chacun tout en véhiculant des valeurs fédératrices. De l’échauffement aux étirements, en passant par la pratique et les formations, il est important de parler à tous, jeunes, séniors, femmes, etc…

Pour relever ce défi, l’aïkido va devoir redéfinir ses valeurs et missions au regard de l’évolution de la société, sans pour autant dénaturer son essence.

Cette essence ne peut d’ailleurs pas se résumer à la technique, car cette dernière évolue. L’essence de l’aïkido, ce sont ses valeurs de respect de l’intégrité physique, de cohésion sociale, de sérénité et de maîtrise de soi (il y en à d’autres, bien sûr).

C’est à l’aune de ces grandes valeurs que pourra évoluer la pratique, en répondant à de nouveaux besoins, et sans altérer les fondements de la discipline. L’aïkido pourra ainsi évoluer au sein d’un cadre structurant, protecteur et moderne. 

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Yéza Lucas, avec la collaboration de Arthur Frattini 

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