Dans notre premier chapitre, nous (Yéza Lucas et Stéphane Ethève) avons partagé notre réflexion sur la vision moderne de l’Aïkido, en réponse aux commentaires “traditionnalistes” que nous avons observés sur Facebook.

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Dans notre deuxième chapitre, nous avons partagé notre vision sur les enjeux de la communication de l’Aikido auprès du grand public.

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Dans un troisième chapitre, nous nous sommes intéressés à ce qui composait l’esprit de l’Aïkido et les valeurs qu’il véhicule, à la fois sur et en dehors du tatami.

Dans ce quatrième chapitre, nous abordons le débat qui oppose professionnalisation et bénévolat dans le monde de l’Aïkido. En tant que discipline associative, l’Aïkido repose traditionnellement sur le bénévolat. Cependant, la question de la rémunération des enseignants et des autres acteurs de la discipline se pose de plus en plus, notamment face aux exigences modernes de gestion et de développement. Ce chapitre explore ces deux visions et invite à réfléchir sur la manière de concilier passion, bénévolat et professionnalisme au sein de l’Aïkido.

L’organisation de la pratique de l’Aïkido devrait-elle être basée sur le bénévolat ?

 

Yéza Lucas : 

 

L’Aïkido, comme beaucoup de disciplines sportives, fonctionne sur le modèle associatif. Ça ne veut pas pour autant dire que tout doit être bénévole ! 

 

À titre d’exemple, les fédérations, tout comme les ligues, et parfois les clubs ont des salariés qu’ils rémunèrent.

 

Il existe des professionnels de l’Aïkido qui sont payés pour leurs compétences techniques et leur capacité à animer des cours et des stages, mais il existe également d’autres types de professionnels dans le monde de l’Aïkido qui ne sont pas des techniciens mais qui œuvrent au développement de la discipline. 

 

Il peut s’agir de formateurs,  de prestataires externes, sur des sujets de communication, d’informatique, ou autre type d’accompagnement en conseil.

 

Une fédération d’Aïkido n’est pas une entreprise. Un club ou une ligue non plus. Mais pour que les comptes soient à l’équilibre, cela implique de générer des recettes pour compenser des dépenses de fonctionnement ou des investissements. Libre à chaque fédération ou club de générer des revenus à sa manière : vente de produits dérivés, animation de stage, Formation, en communication…

 

Le problème, c’est qu’on a tendance à hiérarchiser les différents modèles économiques, existants dans l’Aikido, plaçant la technique au sommet de l’échelle de valeur. Or, le développement d’une discipline ne passe pas que par le développement de stages techniques (qui ne touchent que les pratiquants, et non le grand public);

 

Sur ce sujet, des stages pourraient être envisagés de différentes manières : qu’est-ce qui nous empêcherait de proposer des stages hybrides articulant partie technique et formation théorique ? Ou des séminaires sur la communication de club ? Ou encore d’inviter des experts d’autres disciplines martiales ?

De manière générale, il y a un certain a priori  et une vision négative de la professionnalisation dans le milieu associatif : or, quel est le mal à vivre de sa passion ?

 

Il y a bien sûr des choses qui peuvent se faire à titre bénévole, comme la mobilisation des adhérents pour le développement du club. Mais lorsque la prestation prend beaucoup de temps, beaucoup d’énergie et contribue au développement de la discipline, la question de la rémunération se pose, surtout lorsqu’il s’agit de mobiliser des gens dont c’est le métier. 

 

Pour ma part, en tant qu’entrepreneure, je pense que tout travail mérite salaire, et que la meilleure façon de mobiliser et de fidéliser des talents, c’est de les payer.

 

Lorsqu’il s’agit du développement de l’Aïkido, je pense investissement et non dépenses. Et qui dit investissement, fait le pari sur un retour sur investissement. Et surtout, je suis prête à accepter que rien n’est certain dans les investissements réalisés. C’est comme dans l’entreprenariat, il y a une part de risque dans ce qu’on met en place.

 

Stéphane Ethève : 

 

Selon moi, l’organisation de la pratique de l’Aïkido devrait clairement reposer sur le bénévolat. C’est une conviction profonde que j’ai, et je pense que la notion même de bénévolat se perd aujourd’hui, ce qui est vraiment dommage. Nous fonctionnons en association, et une association n’est pas une entreprise. Il n’y a pas de logiques de profits, pas d’actionnaires majoritaires qui dictent leur loi. L’idée de base, c’est que le collectif fait la force d’une association, et c’est cette solidarité qui nous permet d’avancer ensemble. Bien sûr, tout dépend des personnalités, et je sais que ce n’est jamais facile à organiser. Mais c’est précisément là que réside toute la valeur de l’engagement associatif.

Pour moi, il ne serait pas inconcevable que les DFR ne soient pas des professionnels. Cela changerait beaucoup de choses dans le fonctionnement fédéral. Je sais que c’est utopiste, mais c’est une position que je peux défendre. Le bénévolat reflète des valeurs essentielles qui, à mon sens, sont en train de disparaître dans un monde de plus en plus axé sur l’individualisme et l’argent. Être bénévole, c’est s’engager sans attente de retour financier, c’est se mettre au service d’une cause qui dépasse nos intérêts personnels. Le bénévolat permet de préserver l’esprit de l’Aïkido, cette discipline basée sur l’entraide, le partage et le respect. Pour moi, on ne pratique pas l’Aïkido pour devenir riche, mais pour grandir ensemble.

 

Prenons l’exemple de la ligue de La Réunion, que je connais bien. Son modèle économique repose entièrement sur le bénévolat. Aucun enseignant, aucun membre du CTR, et même pas le DFR ne sont rémunérés pour leurs prestations. Lorsque j’anime des stages de ligue, des formations BF, des formations à l’évaluations ou d’autres événements, je ne me fais pas payer. L’argent récolté est reversé mis en commun et permet de financer des projets pour tous les pratiquants au sein de la ligue. Grâce à notre appartenance à la FFAAA, nous avons accès à des subventions. Ces subventions, combinées aux cotisations, nous permettent de mener à bien nos projets. Personne ne se fait rémunérer. C’est un choix que nous avons fait au sein de notre ligue. Nous y trouvons tous un intérêt, et surtout, cela nous permet de faire de la place pour tout le monde.

Personnellement, je n’ai rien à gagner ou à perdre dans tout ça. Je fais ce que je fais par passion. Je ne suis même pas rémunéré par la fédération pour le travail que je fournis. Bien sûr, je suis défrayé pour les frais, mais cela ne m’empêche pas de m’investir corps et âme dans ce que je fais, car je peux me le permettre. Je ne suis pas un professionnel de l’Aïkido, même si j’ai les compétences et les diplômes pour l’être ! J’agis avec le professionnalisme requis, mais je reste un enseignant d’EPS passionné par l’Aïkido et sa transmission. Certains diront “toute peine mérite salaire” (tu l’as d’ailleurs toi même dit Yéza) et je comprends cette vision pour un professionnel. Ma peine à moi, c’est l’Aïkido, c’est ma passion. Mon salaire à moi, c’est le plaisir que je ressens en pratiquant et en transmettant ma passion aux autres.

Je pense que l’argent peut parfois nuire à l’esprit de l’Aïkido. Je comprends cependant que certains souhaitent vivre de cette discipline, et je les trouve incroyablement courageux. Plus courageux que moi, peut-être ! Je comprends qu’il faille ramener du pain sur la table. Mais à mon avis, si l’on veut faire de l’Aïkido son métier, il faut se lancer comme tout autre professionnel : monter son propre business, établir une étude de marché, un plan marketing, un budget prévisionnel, et chercher des financements. L’affaire n’est pas aisée. Cela pourrait aussi passer par un contrat salarié avec un club, une ligue ou même la fédération. Mais cela implique un engagement complet, avec un salaire fixe, une rémunération en tout cas basée sur une grille salariale définie par les conventions collectives, des déclarations fiscales en bonne et due forme, et tout ce qui va avec. Rien n’empêche bien sûr ces professionnels de proposer des stages privés (je dirais que c’est le cœur de leur métier) ou de vendre des formations s’ils en ont les compétences.

Bref, pour moi, la base même de l’association, c’est le bénévolat. Le bénévolat, c’est gratifiant. Cela apporte une satisfaction personnelle que l’argent ne peut pas acheter. Savoir que l’on contribue au bien commun, que l’on aide à faire vivre une discipline que l’on aime, c’est une fierté immense. C’est une forme d’altruisme qui renforce les liens entre les membres de la communauté, et cela permet à chacun d’évoluer, de grandir, et de partager ensemble cette passion qu’est l’Aïkido.

Comprenez cependant que je dis tout cela sans préjugé aucun. Je dis tout cela parce que je ne vis pas de l’Aïkido et je ne suis pas un entrepreneur. Je ne vends pas mon Aïkido ni mes compétences dans ce domaine, et là aussi, c’est parce que je peux me le permettre. Je n’ai pas besoin de batailler pour mettre du pain sur la table. 

Je tiens à préciser également que, bien que le modèle associatif repose principalement sur le bénévolat, cela n’exclut pas la possibilité d’employer des personnes pour des missions spécifiques. En effet, une association (fédération, ligue ou club) peut parfaitement faire appel à des prestataires de services, notamment lorsqu’elle invite un expert pour animer un stage ou qu’elle engage un chargé de communication pour la promotion de ses activités par exemple. Dans ces cas-là, il est tout à fait normal et légitime que ces prestataires soient rémunérés pour leur travail. C’est une pratique courante et reconnue par la loi.

Cela reflète simplement le fait que certaines compétences nécessitent une expertise particulière qui peut ne pas être disponible en interne, au sein des bénévoles. Que ce soit pour améliorer la qualité des formations proposées ou pour assurer une communication efficace, il est normal de faire appel à des professionnels et de les rémunérer en conséquence. L’aspect bénévole n’exclut donc pas la possibilité de collaboration avec des prestataires qualifiés pour le bien de l’association, et cela ne contrevient en rien aux principes de fonctionnement associatif.

En somme, même si l’association doit rester fidèle à ses valeurs de partage et d’entraide, il est essentiel de reconnaître la nécessité de rémunérer certaines prestations spécifiques pour faire vivre les projets de manière durable.

Donc pour clairement répondre à la question posée, selon moi, l’organisation de la pratique de l’Aïkido devrait clairement reposer sur le bénévolat. C’est une conviction personnelle que j’ai, car je crois profondément aux valeurs de partage, de solidarité et de passion qui sont au cœur de cette discipline. Cependant, il est important de reconnaître que dans la réalité, les choses sont bien plus complexes et ce modèle n’est pas toujours réaliste.

Trouver un mode de fonctionnement équilibré devient alors essentiel. D’un côté, il y a les professionnels qui ont choisi de consacrer leur vie à l’Aïkido et qui ont besoin de pouvoir en vivre de manière rentable. Il est tout à fait légitime qu’ils cherchent à vivre DE leur passion en proposant des stages, des cours, ou en vendant du contenu lié à la discipline. De l’autre côté, il y a les bénévoles, qui s’investissent sans attendre de retour financier, simplement pour vivre et faire vivre cette passion qu’est l’Aïkido. Il faut donc réussir à concilier ces deux approches dans un cadre harmonieux, où chacun trouve sa place et son rôle.

Mon opinion, bien sûr, n’engage que moi. Elle est façonnée par ma propre expérience, et elle ne peut être complètement objective, car je ne suis pas un professionnel de l’Aïkido. Mon regard est celui d’un passionné qui vit l’Aïkido en tant que bénévole, et cela influence forcément ma vision des choses.

 

  • Formation : pousser les élèves à passer un BF, mais pas à ouvrir un club : une contradiction ? 

formation au Brevet Fédéral

 

Yéza : 

 

Je ne suis pas une experte de la formation en Aïkido, mais de ce que l’on me rapporte régulièrement, on pousserait les élèves à obtenir un brevet fédéral pour assister leur enseignant ou pour contribuer au développement de l’enseignement dans leur club, mais pas pour ouvrir leur propre club.

 

Je ne sais pas s’il s’agit d’une peur de la concurrence, mais je trouve dommage que les élèves n’aient pas suffisamment confiance en eux pour pouvoir se sentir légitimes sur le plan de l’enseignement technique. 

 

Personnellement, le milieu de l’Aïkido ne m’a absolument pas donné confiance en moi sur cette dimension technique.  Lorsqu’on écoute un certain nombre de pratiquants, on a l’impression que lorsqu’on est moins gradé qu’un 4ème Dan, nous ne sommes pas légitimes à quoi que ce soit. Or, il existe des territoires qui poussent les jeunes enseignants, ou jeunes titulaires d’un brevet fédéral à enseigner, et même à animer des stages. Je pense que si rapidement,  on met le pied à l’étrier pour se retrouver dans une situation pratique d’enseignement, la question de la légitimité se pose moins.

 

À titre personnel, c’est ce qui m’est arrivée dans l’entrepreneuriat. Je n’ai pas de diplôme de coach certifiée, mais j’ai confiance en moi et confiance en ma capacité à accompagner mes clients.  Je n’ai pas de syndrome de l’imposteur parce que mon expérience de terrain m’a permis de pallier les faiblesses que j’avais au début. Je me suis donné l’autorisation de pouvoir être coach professionnel et mes clients m’ont encouragé grâce à leur retour positif.

 

Ce n’est pas du tout le même état d’esprit dans le monde de l’Aïkido, ou beaucoup d’élèves doivent rester dans l’ombre de leur enseignant sous peur de se tirer des foudres de leur scène.

 

Ça ne veut pas dire que l’on ne peut pas prendre d’initiatives, mais la pression n’aide pas à s’émanciper, surtout lorsqu’on est jeune et que l’on doute de sa légitimité.

 

Stéphane : 

Voilà un point sur lequel nous ne serons pas tout à fait en accord toi et moi.

Selon moi, il n’y a pas de contradiction fondamentale à encourager les pratiquants à passer leur Brevet Fédéral (BF) sans pour autant les pousser immédiatement à ouvrir un club. Le BF est conçu pour permettre aux pratiquants 1er DAN de faire leurs premiers pas dans l’enseignement, mais ces « premiers pas » ne doivent pas être confondus avec une compétence pleine et entière en pédagogie ou en gestion de club. Le BF, tel qu’il est aujourd’hui, confère la capacité d’initier des pratiquants jusqu’au niveau 1er DAN, mais cela reste théorique. En réalité, l’expérience est essentielle pour consolider ces compétences, et un pratiquant de 1er ou même 2ème DAN n’a pas la même maturité technique qu’un 4ème DAN (encore moins d’un 6ème ou 7ème DAN), par exemple.

Il est important de souligner que le BF n’a pas d’équivalence au niveau de l’État. Il s’agit d’un diplôme fédéral d’enseignant bénévole, qui n’a pas de niveau reconnu par l’État et ne correspond donc pas à un niveau CAP. En revanche, le CQP (Certificat de Qualification Professionnelle) est un diplôme professionnel de niveau 4 inscrit au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP), ce qui le place au même niveau que le CAP. Le BF ne vise donc pas à former des enseignants professionnels, mais à donner une première approche pédagogique aux pratiquants, en leur permettant de faire des initiations au sein de leur club jusqu’à un certain niveau.

En ce qui me concerne, il est nécessaire de faire mûrir cette première expérience avant de songer à ouvrir un club. Le BF, tel qu’il existe, devrait pour moi bénéficier d’une durée limitée dans le temps, disons quatre ou cinq ans, avec un renouvellement obligatoire pour encourager la formation continue. Pourquoi ne pas créer un “BF2”, un diplôme accessible à partir du 4ème DAN, qui offrirait des prérogatives élargies et inciterait les enseignants à continuer à se former tout au long de leur carrière ?

En enseignant au sein de son propre club, un jeune titulaire du BF peut commencer à développer son expérience tout en bénéficiant de la légitimité que lui confère ce diplôme aux yeux de ses camarades. Cette phase est cruciale, car elle permet un apprentissage en douceur, sous l’œil bienveillant de professeurs plus expérimentés. À mon avis, cette étape est nécessaire avant qu’un jeune titulaire ne se lance dans l’ouverture de son propre club. Cela ne signifie pas qu’il lui est interdit d’ouvrir un club, bien au contraire. S’il est motivé et bien accompagné, il peut tout à fait réussir à gérer un groupe de débutants, en se concentrant principalement sur l’initiation. Mais il faut que cet enseignant soit soutenu et suivi sur le long terme, car lâcher un jeune enseignant (ou une jeune enseignante d’ailleurs) sans accompagnement me semble risqué et contre-productif.

Le plus important, selon moi, n’est pas forcément le diplôme lui-même, mais bien la formation que cela représente. La formation au BF pousse les stagiaires à réfléchir sur leur pratique, à prendre du recul et à développer leurs compétences pédagogiques. Cependant, je regrette que ces bases pédagogiques soient aujourd’hui encore trop ancrées dans la PPO (Pédagogie par Objectifs), qui me semble, pour l’enseignement de l’Aïkido, trop réductrice. La subtilité de notre discipline ne se découpe pas aussi simplement. Pour moi, une approche par compétences serait plus adaptée, car elle permettrait de développer des capacités plus complètes, tout en étant plus intuitive pour les enseignants en formation. Bien sûr, ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, car il existe plusieurs démarches pédagogiques possibles. En discuter pleinement ici serait trop long, mais cela mériterait une réflexion approfondie.

Je trouve également inconcevable de voir des experts 6ème DAN n’avoir que le BF. Certes, ils ont l’expérience technique, mais je pense qu’ils ont raté l’opportunité de développer des compétences pédagogiques supérieures. Dans l’enseignement, on ne peut pas vivre que de ses acquis initiaux ! En même temps, il n’existe pas aujourd’hui au sein de la fédération de diplôme d’enseignant bénévole supérieur au BF. Je trouve ça bien dommageable mais on y viendra peut-être un jour. Bref, il est impératif de continuer à se former, ne serait-ce que pour se remettre en question sur certains points et savoir adapter son enseignement aux réalités du moment. Cette démarche est essentielle pour maintenir une pratique vivante et en phase avec les évolutions de la discipline. Bien sûr, je parle du BF (parce que c’est notre sujet d’aujourd’hui) comme je pourrais parler de l’évaluation. Ce n’est pas parce qu’on est 3ème DAN ou 7ème DAN et/ou jury depuis des années qu’on doit se dispenser de continuer de se former en la matière. C’est pour moi la même chose.

​​”Je pense qu’il est essentiel de ne jamais se reposer sur ses acquis en tant qu’enseignant. Comme le dit Jean-Paul Sartre, “Qui cesse d’apprendre cesse d’enseigner”. Cela reflète bien l’idée que, pour être efficace dans l’enseignement, il faut continuer à se former, à se questionner, et à évoluer.

D’ailleurs, une étude intitulée ‘The Impact of Continuous Professional Development on Teacher Effectiveness’, publiée dans The Journal of Educational Research en 2018, montre que les enseignants qui participent régulièrement à des programmes de formation continue sont plus efficaces. Ils parviennent non seulement à mieux intégrer les nouvelles méthodes pédagogiques, mais aussi à améliorer la réussite de leurs élèves. Ce qui me semble évident ici, c’est que la formation tout au long de la carrière permet de rester en phase avec les évolutions de l’enseignement, mais aussi de mieux répondre aux besoins des élèves qui, eux aussi, évoluent.”

Finalement, pousser les pratiquants à passer le BF ne signifie pas que nous créons des enseignants en série. Il s’agit avant tout d’élever le niveau de compréhension de la discipline. Le temps et l’expérience feront le reste.

 

  • Devrait-on pouvoir rémunérer les titulaires du BF ?


Yéza : 

 

Pour moi, tout travail mérite salaire. Et même si le brevet fédéral est d’un niveau équivalent CAP, ce diplôme témoigne d’une compétence à enseigner.

 

Il n’y a pas de sous diplôme, alors pourquoi n’y aura-t-il pas de rémunération (adaptée)  ?

 

Bien sûr, je ne maîtrise pas l’ensemble des éléments à prendre en considération pour la rémunération des enseignants, mais sur le papier, la rémunération me semble un choix approprié.

 

Aujourd’hui, on paye bien des stagiaires pour trois mois de stage. Si on transpose ce cas pratique, au milieu de l’Aïkido un diplôme devrait correspondre à une grille salariale.

 

Évidemment, cette réponse est purement subjective, sans considération de la légalité de cette possibilité, et sans connaissance exhaustive de l’univers de la formation professionnelle. 

 

En revanche Stéphane en connaît un rayon et saura sûrement éclairer ma réponse. 

 

Stéphane : 

 

La réponse à cette question est clairement et définitivement NON ! Je m’explique :

La question de savoir si les titulaires du Brevet Fédéral (BF) peuvent être rémunérés pour enseigner l’Aïkido est clairement tranchée par la législation en vigueur. Le BF est un diplôme fédéral à vocation bénévole, ce qui signifie que son titulaire ne peut pas être rémunéré pour enseigner. Cette règle est régie par le Code du sport, qui encadre strictement les qualifications requises pour enseigner contre rémunération.

Le BF, délivré par la FFAAA, est un diplôme non professionnel qui ne permet pas d’exercer une activité rémunérée dans le domaine de l’enseignement de l’Aïkido. Je précise également que le BF n’est pas inscrit au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP), une base de données officielle qui recense les certifications professionnelles reconnues par l’État. Par conséquent, l’absence de reconnaissance de ce diplôme par le RNCP confirme que ce diplôme ne donne pas droit à une rémunération pour l’enseignement.

Il est dès lors illégal pour un club ou une structure sportive de rémunérer un enseignant titulaire uniquement du BF. Cette pratique contrevient aux dispositions du Code du sport et expose l’employeur à des sanctions pénales lourdes. Je rappelle que selon l’article L.212-8 du Code du sport, toute personne qui emploie un éducateur sportif sans les qualifications requises s’expose à une peine pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et à une amende de 15 000 euros. En plus de ces sanctions pénales, l’association ou le club qui emploie un enseignant non diplômé risque une fermeture administrative et des poursuites civiles pour non-respect des règles en vigueur.

Je profite de l’occasion pour remettre les pendules à l’heure concernant la formation dans notre discipline. Il y a souvent des malentendus (pour ne pas dire certaines contre-vérités) qui circulent sur certains canaux, notamment sur les réseaux sociaux comme Facebook et YouTube. Je vous encourage dès lors à consulter (régulièrement) le site de l’Institut de Formation de la fédération, où vous trouverez des informations sûres et actualisées sur les différents cursus.

Seuls deux diplômes permettent aujourd’hui d’enseigner l’Aïkido contre rémunération de manière légale : le CQP MAM (Certificat de Qualification Professionnelle Moniteurs d’Arts Martiaux) et le DEJEPS (Diplôme d’État de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport).

Le CQP MAM et ses prérogatives

Le CQP MAM est destiné à ceux qui souhaitent enseigner l’Aïkido de manière rémunérée. Ce diplôme confère à son titulaire le droit d’enseigner de façon autonome dans un cadre associatif ou privé. Contrairement à une croyance répandue, je précise que le CQP MAM permet aujourd’hui d’enseigner à temps plein. Cela inclut des cours réguliers tout au long de la semaine, dans la limite des 35 heures de travail hebdomadaire que prévoit le droit du travail.

Le CQP MAM, en plus de ses prérogatives d’enseignement à temps plein, est un diplôme certifié Qualiopi par la FFAAA. Cette certification Qualiopi, accordée aux organismes de formation, garantit que la formation au CQP MAM répond à un certain nombre d’exigences de qualité. Cette certification permet également aux candidats de financer leur formation par le biais de leur Compte Personnel de Formation (CPF). Le CPF est un dispositif public qui permet aux salariés et demandeurs d’emploi de mobiliser des crédits de formation pour financer des diplômes professionnels.

Le DEJEPS : un diplôme d’État complet

Je souhaite revenir en détail sur le DEJEPS (Diplôme d’État de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport), qui est destiné à tout pratiquant souhaitant enseigner l’Aïkido contre rémunération. Ce diplôme permet à son titulaire d’exercer en tant qu’éducateur sportif à temps plein. J’insiste particulièrement sur ce terme : éducateur sportif. Le DEJEPS confère un statut professionnel qui inscrit pleinement l’Aïkido dans le cadre de l’encadrement sportif.

Le titulaire du DEJEPS devient un entraîneur coordonnateur qui exerce son activité de manière autonome, en respectant le cadre réglementaire fixé par la mention perfectionnement sportif. Je précise que cette mention est capitale, car elle définit les compétences nécessaires pour encadrer la pratique sportive de l’Aïkido, de l’Aïkibudo et des disciplines associées. Hors l’Aïkido n’est pas une discipline sportive (je vous renvois au premier volet de cet article) Parmi ces compétences, il y a notamment la capacité à :

  • Concevoir et mettre en œuvre un projet d’action.
  • Coordonner l’exécution de ce projet dans le cadre d’une structure.
  • Conduire une démarche de perfectionnement sportif, garantissant la progression technique et pédagogique des pratiquants.
  • Encadrer la pratique de l’Aïkido, de l’Aïkibudo et des disciplines associées en toute sécurité.

Je précise aussi que le DEJEPS permet à son titulaire d’exercer des responsabilités plus larges que le CQP MAM. Il ne s’agit pas simplement d’enseigner, mais de pouvoir coordonner des projets sportifs à différents niveaux, notamment dans des associations sportives, des clubs, voire des structures éducatives ou municipales.

 

Disparition du DESJEPS et risques pour le DEJEPS

En 2022, le DESJEPS (Diplôme d’État Supérieur de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport) a été abrogé pour l’Aïkido par le ministère des Sports. Cette abrogation s’explique par la nature spécifique de notre discipline, qui ne relève pas de la compétition sportive de haut niveau. Le DESJEPS, avec ses deux spécialités, “perfectionnement sportif” et “animation socio-éducative et culturelle”, a été jugé inadapté aux objectifs de l’Aïkido.

Je précise que le DESJEPS était conçu pour les disciplines compétitives de haut niveau, un cadre dans lequel l’Aïkido ne s’inscrit pas. L’Aïkido n’étant pas une discipline de compétition de haut niveau, la pertinence de maintenir un tel diplôme pour notre art martial ne se justifiait plus aux yeux du ministère. Ainsi, le ministère a tranché, et cette décision est désormais définitive. Nous ne pourrons pas revenir en arrière, car ce cadre juridique s’adapte à la nature même de notre discipline.

Je crains que le DEJEPS pourrait également disparaître un jour pour les mêmes raisons si la perception de l’Aïkido venait à être modifiée par le ministère. Certains pratiquants et enseignants insistent régulièrement sur le fait que l’Aïkido n’est pas un sport (ce qui est vrai même si certaines nuances peuvent être apportées selon la définition que l’on a du sport), mais je tiens à attirer l’attention sur les conséquences potentielles de cette insistance. Le ministère des Sports pourrait un jour considérer que l’Aïkido ne relève pas du cadre de la formation sportive, et il n’y aurait plus de diplômes d’État pour encadrer l’enseignement rémunéré.

Dans ce cas, je prévois que seul le CQP MAM resterait en place. Cela signifierait que nous serions tous moniteurs d’arts martiaux, sans reconnaissance en tant qu’éducateurs sportifs. Bien sûr, cela ne signifie pas qu’il faille crier sur tous les toits que l’Aïkido est un sport à part entière, mais je souligne l’importance de rester prudent pour ne pas perdre ce cadre juridique et professionnel qui nous permet de travailler dans des structures sportives.

 

Accès au DEJEPS : un parcours complexe

Aujourd’hui Le DEJEPS Aïkido n’est actuellement accessible que par la Validation des Acquis de l’Expérience (VAE). Il n’existe pas de formation DEJEPS spécifique à l’Aïkido, ce qui rend l’obtention de ce diplôme plus complexe. J’insiste sur le fait que cela ne signifie pas que le DEJEPS en lui-même n’est pas pertinent pour notre discipline, mais qu’il est simplement devenu plus difficile d’y accéder que les anciens diplômes d’état tels que le BEES 1er degré ou le BEES 2ème degré en l’absence d’un centre de formation dédié.

La formation DEJEPS se compose de 770 heures de formation théorique en centre de formation et de 1200 heures de terrain en alternance. Le coût de cette formation est d’environ 13000€, ce qui représente un investissement considérable. Dans d’autres disciplines beaucoup se tournent vers le Compte Personnel de Formation (CPF) pour le financer me direz-vous, mais je tiens à souligner que ce financement n’est accessible que si le centre de formation est certifié Qualiopi pour le DEJEPS ce qui n’est le cas ni de la FFAAA ni de la FFAB.

Hors la FFAAA n’est pas certifiée Qualiopi pour le DEJEPS. Seule la certification du CQP MAM a obtenu cette reconnaissance. Cela signifie que le DEJEPS ne peut pas être financé via le CPF pour les candidats souhaitant passer par la FFAAA. Ce point est crucial pour ceux qui envisagent cette formation.

Toutefois, il est possible de passer les Unités Capitalisables (UC) 1 et 2 dans d’autres centres de formation, car ces unités sont transversales à plusieurs disciplines sportives. Les UC3 et UC4, qui sont spécifiques à la discipline, doivent être obtenues séparément. Il est important de signaler que l’UC3 a déjà été proposée par le CREPS de Bourgogne Franche-Comté pour un coût d’environ 3000€ (si ma mémoire est bonne), mais je note que cette formation n’a attiré aucun candidat, ce qui montre la difficulté de cette voie.

L’UC4, quant à elle, ne pose pas de problème particulier, car elle peut être validée par équivalence pour les titulaires du BF ou du CQP MAM ayant au moins un 3ème DAN. Cela montre bien que la voie la plus simple et la moins coûteuse pour obtenir le DEJEPS reste la VAE, à condition d’avoir l’expérience requise. Cette expérience ne se limite pas à avoir enseigné dans un club pendant plusieurs décennies. Il faut des expériences d’envergure régionale, ainsi que des missions en tant que formateur, notamment dans des cadres fédéraux ou régionaux.

 

Conclusion de Stéphane : 

 

Il est impératif que tous les cadres et enseignants bénévoles ou professionnels d’aïkido, en particulier les hauts gradés de la FFAAA, continuent de se former. Rester informé et faire de la veille sur les cursus de formation existants est essentiel pour apporter à leurs élèves des informations fiables et à jour concernant l’accès aux diplômes. De cette manière, ils pourront les accompagner au mieux dans leur volonté de devenir à leur tour des enseignants, qu’ils soient bénévoles ou professionnels.

Le DEJEPS demeure une option viable pour ceux qui souhaitent enseigner l’Aïkido à un niveau professionnel mais il existe aujourd’hui des contraintes importantes liées à son obtention. Le manque de formation dédiée, les coûts élevés, et l’absence de financement via le CPF pour ce diplôme rendent la VAE une solution de plus en plus pertinente, à condition de réunir les critères d’éligibilité.

Je rappelle également qu’il est essentiel de protéger la reconnaissance de l’Aïkido en tant que pratique sportive encadrée par le ministère des Sports, afin de préserver la possibilité d’obtenir des diplômes d’État, comme le DEJEPS. Il s’agit simplement de faire attention à nos éléments de langage face au ministère afin qu’ils correspondent aux exigences des prérogatives du diplôme d’État. Ce n’est vraiment pas anodin si j’insiste sur ce fait ! 

Je confirme enfin que le BF ne permet en aucun cas d’enseigner contre rémunération, et que seuls le CQP MAM et le DEJEPS sont des diplômes ouvrant à la possibilité de travailler légalement en tant qu’enseignant rémunéré d’Aïkido. Je précise avec insistance que les clubs et associations doivent impérativement respecter la législation en vigueur sous peine de sanctions, et que le choix entre le CQP MAM et le DEJEPS dépendra du projet professionnel de l’enseignant, ainsi que des perspectives de financement disponibles.

 

Suite, dans le prochain épisode…

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