On entend souvent que l’Aïkido est une discipline ouverte à tous, sans distinction d’âge, de sexe ou de niveau. Pourtant, lorsqu’on enseigne ou qu’on observe un cours, une réalité s’impose : les débutants ne vivent pas les mêmes choses que les pratiquants avancés.
Apprentissage des bases, gestion des peurs, intégration dans un groupe hétérogène… la question de leur accompagnement est centrale.
Faut-il leur proposer un espace spécifique ? Que transmettre lors d’un premier cours ? Et surtout, comment ne pas oublier ce que c’était, soi-même, d’être débutant ?
Trois réflexions pour nourrir cette question, à la croisée de la pédagogie et de la pratique.
1/ Les débutants ont-ils besoin d’être pris à part ?
Si l’Aïkido a vocation à être pratiqué par tous et ensemble, on peut tout de même s’interroger sur la pertinence de proposer des cours spécifiques pour les débutants.
👉 Parce que l’Aïkido n’est pas intuitif, et qu’apprendre les déplacements et ukemis de base prend un certain temps.
👉 Pour offrir un cadre sécurisant aux plus novices (surtout sur le plan psychologique, parce qu’en principe, un gradé est censé faire attention à son environnement).
Ainsi, de la même manière qu’on pourrait se poser la question des cours mixtes ou non, on peut aussi se poser la question de la pertinence d’un cours débutant, ou du moins, d’une prise en charge spécifique.
🥋 Il existe des dojos/écoles où le débutant se voit consacrer un cours spécifique (tout comme les femmes ou les jeunes). C’est le cas à l’Aikikai par exemple, et c’est également le cas dans d’autres disciplines martiales.
🥋 De la même manière, il existe dans certains dojos, des cours spécifiques pour les gradés.
🥋 Et en pratique, combien d’enseignants se retrouvent à faire de la pédagogie différenciée en raison de l’écart de niveau trop important constaté dans le cours ?
Personnellement, l’idée de proposer un cours consacré aux débutants ne me choque pas, à condition de « confronter » rapidement ces derniers à un public mixte.
Pourquoi ?
🔥 Parce qu’en Aïkido, on progresse quand on pratique avec des gabarits et des niveaux différents.
🔥 Parce que, sur le plan mental, pratiquer avec des pratiquants plus expérimentés peut nous amener à travailler sur notre propre confiance en nous (en arrêtant de nous excuser d’exister à chaque cours, ou encore, en apprenant à solliciter les gradés pour pratiquer avec nous).
L’Aïkido est un art martial ouvert à tous et pour tous, mais ce n’est pas pour cela qu’on est tous en capacité de le pratiquer de la même manière.
Certains ont besoin d’une pédagogie spécifique.
Certains ont besoin d’un cadre sécurisant.
C’est pourquoi, un espace spécifique peut être consacré à certains publics, dans l’optique de les encourager à rejoindre un groupe de pratiquants plus hétérogènes par la suite.
2/ Premier cours d’Aïkido : transmettre des bases solides ou attiser la curiosité ?
Cette question rejoint naturellement la précédente : si l’on souhaite accueillir les débutants dans de bonnes conditions, encore faut-il savoir comment leur transmettre l’Aïkido.
Un premier cours d’Aïkido, c’est toujours un moment clé pour un pratiquant, mais également pour l’enseignant. Une question peut alors se poser : que faut-il transmettre en priorité : les bases solides ou un aperçu de la diversité de la discipline ?
Récemment, j’ai pu observer la manière dont un enseignant japonais au Vietnam a transmis l’Aïkido à Clément, un jeune Français qui assistait à son tout premier cours.
Ce qui m’a frappée, c’est la fluidité de la transmission. Bien sûr, Clément avait des facilités, mais ce qui m’a marquée, c’est que la transmission me semble fluide, et Clément n’avait pas l’air perdu dans le flot de son intellect.
À la fin du cours, il savait déjà chuter avant et arrière, se déplacer en shiko, réaliser une immobilisation en Nikkyo et reproduire deux à trois techniques d’Aïkido. Il avait transpiré, il avait pratiqué, et surtout, il n’avait pas eu l’impression qu’on lui avait pris la tête avec trop d’explications.
Cela pose une vraie question : comment transmettre rapidement sans perdre l’élève dans son intellect ?
Il existe deux écoles :
✔️ Aller à l’essentiel. Construire des bases solides avant d’explorer plus loin. Concrètement, cela peut se traduire par la répétition de mouvements, des déplacements ou se focaliser sur une technique.
✔️ Montrer toute la richesse de l’Aïkido : pour cela, on donne un aperçu large pour éveiller la curiosité, c’est ce que j’appelle l’Aïkido catalogue, mais c’est une belle promotion de la discipline !
Et voici deux réflexions à méditer :
✔️ La clé d’une expérience réussie pour l’enseignant (et l’élève) ne réside peut-être pas tant dans le choix du contenu que dans l’expérience physique du cours. Autrement dit : faire ressentir, plutôt qu’expliquer à outrance.
✔️ Chaque élève monte sur les tatamis pour des raisons différentes et sera sensibilisé par des approches différentes selon les sens les plus développés chez lui (visuelle, kinesthésique, auditive).
Et vous, avez-vous apprécié votre premier cours d’Aïkido ? Qu’en avez-vous retenu ?
3/ Pédagogie : et si on se rappelait nos débuts ?

Enfin, au-delà de la structure des cours ou du contenu du premier cours, une autre dimension mérite d’être soulignée : la mémoire du débutant que l’on a été.
Après quasiment 8 ans de pratique, j’ai découvert des enseignements différents, et étant particulièrement sensibilisée à la question de la pédagogie (déformation professionnelle), j’observe qu’il est facile d’oublier ses propres débuts lorsqu’on enseigne.
En résulte, une pédagogie non comprise par les plus débutants.
Voici quelques exemples :
👉 Inviter à relâcher les bras est la chose la plus évidente et à la fois la plus contre-intuitive en Aïkido.
Évidente, parce qu’on sait que l’Aïkido n’est pas une question de force.
Contre-intuitive, parce que le cerveau voit les bras s’agiter, et qu’il a l’impression que ces derniers jouent un rôle prépondérant dans la réalisation de la technique.
Difficile, parce que pour avoir un niveau de relâchement total, il faut un très bon centrage. Ce qui, disons-le, n’est pas accessible à tous.
C’est pour cela que la pédagogie différenciée est essentielle pour permettre à des élèves plus débutants de ne pas passer à côté de la technique ou de l’enseignement proposé.
De même, lorsqu’un élève a une appréhension physique, il est inutile de lui dire que le sol est proche ou encore, qu’il faut se détendre pour ne pas se faire mal. Les conseils théoriques n’ont absolument aucun effet sur la peur.
En revanche, un partenaire rassurant qui laisse l’autre s’organiser, en montrant de la patience et de la bienveillance est sûrement la clé du progrès.
Je ne suis plus débutante, mais j’ai des appréhensions physiques sur certaines chutes, et surtout, je me rappelle encore de mes débuts.
Ça me permet de me souvenir que lorsqu’on me demande une chute ponctée (tampon buvard) sur un ikkyo, on peut facilement avoir l’impression de s’emplafonner l’épaule dans le sol.
Qu’une chute enlevée sur un tenchi nage peut donner l’impression de se jeter dans un trou noir.
Ou encore, que la peur de perdre ses doigts sur certaines techniques au bokken explique pourquoi on peut avoir du mal à être offensif.
On évitera donc les “relâche”, “c’est pas les bras, c’est les hanches”, “lâche ton ken” ou que sais-je, qui partent d’une bonne intention mais qui sont difficilement applicables lorsqu’on est tendu.
Être bon techniquement est important lorsqu’on est enseignant, mais je suis intimement convaincue qu’en se rappelant de ses propres débuts, on choisit au mieux ses conseils pour les plus débutants présents sur les tatamis.
Lorsqu’un débutant n’arrive pas à appliquer les conseils qu’on lui donne, c’est très frustrant parce qu’on peut facilement remettre en question son enseignement.
Mais en même temps, cette difficulté est très challengeante parce qu’elle nous pousse sans cesse à réfléchir à comment améliorer notre pédagogie pour qu’elle puisse parler à un plus grand nombre.
Conclusion
La question de l’accueil des débutants en Aïkido n’est ni marginale, ni secondaire. Elle touche à l’essence même de la transmission.
Faut-il un espace dédié ? Un contenu spécifique ? Une posture pédagogique plus incarnée ?
Peut-être tout cela à la fois.
Mais surtout, il s’agit de ne jamais oublier que l’Aïkido, avant d’être un ensemble de techniques, est une rencontre humaine.