L’Aïkido est souvent présenté comme une voie martiale non compétitive, tournée vers le relâchement, la fluidité et la maîtrise de soi. On insiste sur la posture, la présence, le travail à deux. Et c’est ce qui en fait une discipline à part.

Mais à force de vouloir se distinguer du sport, on en oublie parfois des réalités concrètes : la condition physique, l’alimentation, les cycles menstruels, ou encore les termes qu’on n’ose pas employer — force, performance, compétition, sororité.

Ces sujets restent souvent dans l’angle mort, comme s’ils risquaient d’affaiblir la noblesse de notre pratique. Pourtant, ils font pleinement partie de l’expérience corporelle sur le tatami.

Cet article n’a pas pour objectif de plaquer un modèle sportif sur l’Aïkido, mais de remettre du bon sens et du corps dans nos réflexions. Parce que pratiquer, ce n’est pas seulement répéter des techniques : c’est aussi tenir dans la durée, progresser sans se blesser, s’adapter à son état physique du moment, et se sentir accueilli dans toutes les dimensions de sa pratique.


1/ L’Aïkido est-il un art martial qui néglige trop la condition physique ?

Dans le podcast d’Amine Boufane, Aïki Talk Podcast, dans lequel était invité Stéphane Ethève, un point m’a particulièrement marquée :
L’Aiki Taiso ne suffit pas.

Travailler sa mobilité et son relâchement, c’est essentiel. Mais sans un minimum de préparation physique, on se fragilise et on limite sa progression.

Aujourd’hui, dans de nombreux dojos, l’échauffement est parfois réduit au strict minimum. La condition physique est vue comme une option, alors qu’en réalité :

  • Un corps mal prĂ©parĂ©, c’est un corps qui se blesse plus vite.
  • Un corps en mauvaise forme ne pourra pas exĂ©cuter une technique avec prĂ©cision et efficacitĂ©.
  • Une pratique durable passe par un entretien du corps, qu’on considère l’AĂŻkido comme un sport ou non.

Stéphane Ethève le dit clairement : il faut remettre la préparation physique dans l’Aïkido, car c’est une condition pour pratiquer correctement.

Certains diront que l’Aïkido ne demande pas d’effort physique violent, qu’il n’a pas besoin d’être un sport de performance.

Mais il ne s’agit pas de faire de l’haltérophilie ou du cardio intensif.

Il s’agit simplement de respecter son corps, car c’est notre premier outil de pratique.

Et vous, intégrez-vous un travail physique en complément de votre pratique ?


2/ La nutrition en Aïkido : un sujet qui passe complètement à la trappe

Après la condition physique, un autre levier est souvent négligé : l’alimentation. Et pourtant, elle joue un rôle tout aussi déterminant dans la qualité de notre pratique.

Il y a quelques jours, j’ai eu une conversation avec StĂ©phane Ethève, responsable du PĂ´le Jeunes AĂŻkido RĂ©union, qui propose des sessions de remise en forme physique. J’ai trouvĂ© l’initiative très intĂ©ressante, mais je suis convaincue que le sport doit ĂŞtre accompagnĂ© d’une sensibilisation Ă  la nutrition.

Alors bien sĂ»r, en thĂ©orie, nous savons tous qu’il ne faut pas nous nourrir de junkfood quotidiennement. Mais dans les faits, beaucoup n’ont pas de base en matière de nutrition, et/ou ne prennent pas conscience de l’importance d’une alimentation saine au quotidien, et surtout de l’impact de la nutrition dans la pratique de l’AĂŻkido.

D’ailleurs, on retrouve dans les passages de grade, un barème de notation sur l’endurance et la rĂ©sistance physique. La nutrition joue ici un rĂ´le dĂ©terminant dans l’amĂ©lioration de notre condition physique.

Voici donc 4 impacts directs de la nutrition sur notre pratique de l’AĂŻkido :

  • Énergie : une alimentation Ă©quilibrĂ©e nous permet de renforcer notre endurance, notre forme physique mais Ă©galement notre concentration lorsque nous pratiquons.
  • Performances : une alimentation saine (accompagnĂ©e de renforcement musculaire) nous permet d’ĂŞtre mieux gainĂ©, mais Ă©galement de mieux descendre sur nos appuis. De mĂŞme, le travail en Suwari Waza est plus aisĂ© lorsqu’on est plus lĂ©ger.
  • SantĂ© et système immunitaire : une alimentation non transformĂ©e joue un rĂ´le dĂ©terminant dans notre rĂ©gulation Ă©motionnelle, mais Ă©galement en matière de prĂ©vention des maladies.
  • Apparence physique : une alimentation Ă©quilibrĂ©e joue un rĂ´le dĂ©terminant dans le dĂ©veloppement d’une silhouette athlĂ©tique (sans forcĂ©ment vouloir un Summer Body) et peut aussi jouer sur la confiance et l’estime de soi (et on en a besoin dans notre pratique !).

Maintenant, comment manger équilibré ?

Je ne vais pas proposer ici de plan alimentaire : dĂ©jĂ  parce que je ne suis pas une spĂ©cialiste de la nutrition et ensuite parce qu’il faudrait l’adapter Ă  chacun pour qu’il soit tenable Ă  terme (les rĂ©gimes stricts n’ont jamais Ă©tĂ© une solution).

Mais pour en dire un mot : limiter les produits transformĂ©s est sĂ»rement l’une des meilleures choses Ă  faire !

S’ajoute Ă  cela, l’environnement local : Ă  la RĂ©union oĂą je suis actuellement, il est beaucoup plus difficile de manger Ă©quilibrĂ© car l’alimentation est majoritairement importĂ©e et chère.

En revanche, il serait intĂ©ressant de faire intervenir des pratiquants expĂ©rimentĂ©s sur la thĂ©matique de la nutrition Ă  l’occasion de formations spĂ©cifiques, car sport et alimentation vont de pair.

Ă€ titre personnel, j’ai un très bon système immunitaire et une bonne santĂ© car je fais de mon hygiène de vie une prioritĂ© dans ma vie. Et l’hygiène de vie est un facteur dĂ©terminant dans la qualitĂ© de notre système immunitaire. Mon objectif personnel est de vivre longtemps et en bonne santĂ©. D’ailleurs, en AĂŻkido, mes modèles d’inspiration sont les pratiquants âgĂ©s qui continuent encore Ă  chuter et Ă  se dĂ©placer Ă  genou.

En rĂ©sumĂ©, l’alimentation est le carburant de notre corps et mĂ©rite que l’on s’y intĂ©resse rĂ©ellement. N’oublions pas qu‘au Japon, pays que nous regardons souvent comme un modèle, l’alimentation de base est extrĂŞmement saine et l’espĂ©rance de vie supĂ©rieure Ă  la nĂ´tre en France. S’il y a bien une chose dont nous pouvons nous inspirer (tout en l’adaptant), c’est bien cela !


3/ Les menstruations en AĂŻkido : un inconfort qui nuit Ă  la performance sportive

Si l’on parle si peu du rapport entre nutrition et Aïkido, les menstruations sont, elles, quasiment absentes des discussions.

Le sujet semble secondaire, sans doute parce que l’Aïkido n’est pas un sport de compétition. Et pourtant, la question du cycle menstruel en période de passage de grade mériterait déjà d’être posée.

Car quand on a ses règles, il peut être difficile de se mouvoir librement sur le tatami. La fatigue est plus présente. L’inconfort aussi.

Il faut parfois adapter ses mouvements, renoncer à certains exercices, simplement parce qu’ils deviennent douloureux ou qu’on redoute une fuite.

Mais dans un cadre martial, exprimer cela reste délicat.

Une pratiquante m’a confié qu’elle n’osait pas dire à son enseignant qu’elle ne pourrait pas réaliser l’échauffement tel qu’il est proposé. Elle avait peur d’être perçue comme en retrait, ou comme quelqu’un qui refuse l’effort.

Et à cela s’ajoute un autre aspect, plus logistique mais tout aussi réel : celui des vestiaires.

Quand on a ses règles, pouvoir se changer ou se doucher dans de bonnes conditions compte énormément. Or, dans de nombreux dojos, l’accès à des espaces adaptés reste inégal :

  • Pas de douche individuelle
  • Pas de poubelle dans les vestiaires
  • Parfois mĂŞme pas de toilettes ou de point d’eau Ă  proximitĂ©
  • Vestiaires mixtes ou difficilement accessibles

Ce sont des réalités concrètes.
Elles ne remettent pas en cause l’exigence de la pratique, ni la tradition. Mais elles méritent d’être nommées, entendues et prises en compte.

Parce que parfois, ce n’est pas le manque de motivation qui éloigne les femmes des tatamis, mais simplement l’accumulation d’obstacles invisibles.

En discutant avec d’autres pratiquantes, en Aïkido comme en JJB, d’autres points sont également revenus :

  • Le risque de blessure accru pendant les règles
  • La couleur blanche du keikogi
  • Le port du Hakama Ă  la taille quand on a des hanches
  • Le manque de formation des enseignants sur ces sujets
  • L’absence de distributeurs de protections pĂ©riodiques dans les vestiaires

Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas une discipline de compétition que nous devons passer ces sujets sous silence.


4/ Aïkido : ces mots que l’on diabolise et qui nient les différentes réalités de notre discipline

Pour aller plus loin, il faut aussi oser interroger le vocabulaire qu’on utilise – ou qu’on évite.

En Aïkido, il y a des mots qu’on préfère taire ou contourner :

Et pourtant, ils décrivent certaines réalités de notre discipline.

Si on veut que notre pratique soit réellement inclusive et intelligible, il faudrait accepter :

  • Que la force musculaire, mĂŞme discrète, est mobilisĂ©e dans nos mouvements
  • Que la dimension sportive existe, au moins en France, avec tout ce qu’elle implique : subventions, reconnaissance des grades, encadrement de la pratique, prĂ©paration physique
  • Que la compĂ©tition n’est pas incompatible avec l’esprit martial et qu’une Ă©cole d’AĂŻkido l’a dĂ©jĂ  intĂ©grĂ©e
  • Que la performance n’est pas rĂ©servĂ©e aux podiums : elle peut aussi dĂ©signer une progression personnelle, physique ou mentale
  • Que la sororitĂ© n’est pas une mise Ă  l’écart des hommes mais un levier d’inclusion et de sĂ©curitĂ© pour de nombreuses pratiquantes

Écarter ces mots, c’est passer à côté de toute une part de ce que notre discipline permet.


Conclusion

L’Aïkido ne se résume pas à une technique ou à une gestuelle : c’est une pratique physique, vivante, ancrée dans le réel. Et à ce titre, elle engage le corps – dans toutes ses dimensions.

Reconnaître cela, ce n’est pas renier la tradition. C’est, au contraire, lui permettre de continuer à vivre, à évoluer, à accueillir plus largement.

Préparation physique, hygiène de vie, rapport au cycle, mots qu’on ose enfin poser : tous ces éléments devraient être intégrés à une pédagogie moderne et responsable de l’Aïkido.

Parce que prendre soin du corps, c’est respecter la pratique. Et faire de l’Aïkido un art qui traverse les âges… et les générations.

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