L’Aïkido se présente souvent comme un art martial porteur de valeurs fortes : respect, bienveillance, harmonie. Il rejette la domination, prône la maîtrise de soi, et invite à un engagement sincère dans la relation à l’autre. Pourtant, entre les principes affichés et les comportements réels, il y a parfois un décalage.

Sur le tatami comme en dehors, la pratique confronte chacun à des tensions concrètes : comment rester fidèle à ces valeurs face à l’ego, à la peur, à la fatigue ou aux désaccords sur ce que doit être l’Aïkido aujourd’hui ?

À travers trois angles complémentaires — les principes du code moral, la question du courage, et la question du pouvoir — cet article propose d’interroger la manière dont les valeurs de l’Aïkido résistent (ou non) à l’épreuve du réel.

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1 / Le code moral de l’Aïkido en 9 principes

L’Aïkido est bien plus qu’un art martial : c’est une voie de transformation personnelle.

Né du refus de la domination et de la recherche d’harmonie, il propose de dépasser la confrontation par la maîtrise de soi, le respect de l’autre et l’engagement sincère dans l’action.

Ce code moral rassemble les valeurs essentielles que chaque pratiquant est invité à incarner, sur le tatami comme dans la vie quotidienne.

Il guide nos gestes, notre posture, notre regard sur l’autre et sur nous-mêmes.

À travers cette exigence intérieure, nous cheminons vers une pratique vivante, responsable, ouverte et fraternelle.

Voici donc le code moral de l’Aïkido en 9 principes :

  1. Responsabilité

Sur le tatami, chaque pratiquant est responsable de son partenaire.

La technique doit respecter l’intégrité physique de l’autre : attention portée à l’exécution du mouvement, au contrôle de l’énergie, et à l’orientation de la chute.

Être responsable, c’est progresser en veillant sur l’autre avec vigilance et bienveillance.

  1. Maîtrise de soi

La droiture du comportement et la verticalité du corps expriment l’état de sérénité recherché par l’aïkidoka.

La posture (shisei) se manifeste par une attitude impartiale, digne et disponible, aussi bien dans la pratique que dans la vie quotidienne.

  1. Courage

Le courage véritable consiste à affronter ses peurs sur le tatami : avancer vers l’autre, s’engager sans retenue, oser chuter, persévérer dans l’effort.

En dehors du tatami, il se traduit par la fidélité à ses convictions, même lorsque tout pousse à y renoncer.

  1. Universalité

L’Aïkido se pratique ensemble, au-delà des différences de morphologie, d’âge, d’origine sociale, de sexe ou de niveau.Il est universel.

Cette diversité est une force, où chacun s’enrichit au contact de l’autre dans le respect et l’ouverture.

  1. Sincérité

La pratique de l’Aïkido repose sur des mouvements francs, directs et engagés, dans l’esprit du principe d’irimi.

La sincérité s’exprime aussi dans la parole : adopter un discours clair, honnête et aligné avec ses actes.

  1. Hospitalité

Un dojo véritable est un lieu ouvert à tout pratiquant, quel que soit son parcours.

Accueillir avec respect, accompagner avec bienveillance, préserver l’esprit d’ouverture : telle est l’hospitalité propre à l’Aïkido.

  1. Fraternité

Par la pratique, l’Aïkido tisse des liens authentiques et durables entre pratiquants.

La rencontre, l’entraide et le cheminement commun renforcent l’esprit d’unité, aussi bien sur le tatami qu’en dehors.

  1. Respect du corps

Prendre soin de son corps est un engagement envers soi-même et envers ses partenaires.

Entretenir sa condition physique, écouter ses limites et cultiver une hygiène de vie saine permettent de progresser durablement, de préserver son bien-être et d’honorer la pratique.

  1. Humilité

Quel que soit son grade ou son ancienneté, chaque pratiquant est égal face à la voie.

L’humilité guide le comportement : progresser sans orgueil, transmettre sans arrogance, recevoir sans complexe.

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Ce texte n’a pas de valeur officielle, mais il a été conçu avec soin, à partir de ce que l’Aïkido transmet au quotidien sur le tatami : une éthique, un état d’esprit, une manière d’être ensemble.

J’espère qu’il pourra inspirer celles et ceux qui enseignent, débutent ou s’interrogent sur la dimension profonde de notre discipline.

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👉 Et vous, ces principes vous parlent-ils ?

👉 Les transmettez-vous dans votre dojo ?

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➡️ Pourtant, au-delà de ces valeurs explicites, il existe d’autres vertus tout aussi fondamentales qui restent souvent dans l’ombre. Le courage, par exemple, est rarement nommé, mais constamment mobilisé dans la pratique.

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2 / Le courage, une valeur discrète dans notre discipline

 

Je me suis souvent demandé pourquoi je ne trouvais pas les aikidokas courageux.
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Et en y réfléchissant, j’ai compris.
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On n’encourage pas les aikidokas à être courageux parce qu’on ne les encourage pas à suivre leur propre voie.
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En effet, les aikidokas ne sont pas encouragés à sortir des sentiers battus et à s’affirmer.
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On les encourage au contraire à marcher dans les pas d’un chemin déjà tracé.
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Pour que le courage soit à nouveau une vertu martiale valorisée, il faudrait normaliser le fait que c’est OK de vouloir construire son propre cadre.
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Il faudrait arrêter d’inciter les pratiquants à penser pareil, à pratiquer de la même manière et à rester dans l’ombre de leur enseignant.
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Aujourd’hui, si Aïkido Millennials reçoit autant de critiques, c’est aussi parce que je n’attends pas qu’on m’autorise à exister pour vivre.
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👉 Si vous avez l’impression de stagner dans votre pratique, ouvrez-vous à de nouveaux horizons.
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👉 Si vous avez l’impression de ne plus trouver de sens dans votre pratique, posez des questions.
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👉 Et si vous avez envie de partager vos réflexions, exprimez-vous.
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Le courage, ce n’est pas seulement la capacité à affronter les dangers ou dépasser ses peurs sur un tatami.
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Le courage, c’est incarner ses valeurs et s’engager avec conviction, tel un irimi.
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Par ailleurs, le courage, ce n’est pas l’absence de peur.

C’est précisément parce que la peur est là, et qu’on choisit de l’affronter, qu’on est courageux.

Sur le tatami, le courage prend plusieurs formes :

  • Venir s’entraîner alors qu’on est fatigué,
  • Oser être le seul débutant au milieu des gradés,
  • Être la seule femme dans un cours d’hommes,
  • Accepter de ressortir avec la tête pleine, le corps fatigué, et l’ego parfois bousculé.
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Mais le vrai courage ne s’arrête pas aux tatamis.

Le vrai courage, c’est celui d’incarner les valeurs de l’Aïkido en dehors du dojo.

Celui de rester droit dans ses choix, même lorsque le vent pousse dans une autre direction.

Celui de garder sa cohérence, même dans l’inconfort.

À ma connaissance, il n’existe pas de code moral formel dans l’Aïkido qui mette explicitement en avant le courage.

Pourtant, dans d’autres arts martiaux comme le Judo, il est reconnu comme fondamental.

Et dans le Bushidō, le code des samouraïs, le courage est une vertu essentielle : agir avec droiture, même lorsque la peur est présente.

Quand on regarde d’où vient l’Aïkido, je trouve que c’est une valeur qui mériterait d’être cultivée avec plus de vigueur dans notre discipline.

Non pas en l’affichant comme un principe figé, mais en la vivant pleinement, sur les tatamis et surtout, dans notre quotidien.

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➡️ Justement, certaines tensions très concrètes dans notre discipline viennent mettre ces valeurs à l’épreuve. L’une d’elles, sensible mais révélatrice, est celle de la compétition.

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3 / L’Aikido et le pouvoir : quel responsabilité pour celui qui transmet ?

Dans les arts martiaux, et peut-être encore plus en Aïkido, on aime rappeler des valeurs comme l’harmonie, le respect ou la sincérité. Mais il existe un sujet dont on parle trop peu : celui du pouvoir.
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Le pouvoir est présent dans tous les dojos.
Il se manifeste par l’ancienneté, le grade, la réputation ou simplement la place d’enseignant. Bien utilisé, il inspire, il guide et il crée la confiance. Mal utilisé, il peut basculer vers quelque chose de plus ambigu : la prise d’un ascendant psychologique sur les élèves.
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Cet ascendant n’est pas toujours conscient. Mais quand il se traduit par une parole qui met mal à l’aise, par un geste qui dépasse le cadre de la pratique ou par une attitude qui impose plus qu’elle ne transmet, il devient problématique.
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Le plus difficile, c’est que face à ce type de situation, l’élève est souvent décontenancé. Surpris, intimidé, il ne sait pas comment réagir. Le silence qui en résulte ne veut pas dire que “ce n’est pas grave”. Il signifie simplement que la relation de pouvoir bloque la possibilité de poser une limite claire.
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Et c’est là que se joue la responsabilité de celui qui transmet.
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Transmettre, ce n’est pas dominer. Transmettre, ce n’est pas profiter de sa place, de son grade ou de son âge. Transmettre, c’est au contraire créer un espace d’apprentissage où chacun peut évoluer sans crainte, sans ambiguïté, sans confusion entre l’enseignement et l’intimidation.
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Ce sujet n’est pas propre à l’Aïkido : on le retrouve dans tous les sports. Mais l’Aïkido, qui revendique l’harmonie comme principe fondateur, a une responsabilité particulière : celle de garantir que le pouvoir serve toujours la transmission, jamais l’ascendant personnel.
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Un dojo devrait être un lieu où l’on progresse techniquement, mais aussi humainement. Un lieu où le respect n’est pas seulement une valeur affichée, mais une réalité vécue. Un lieu où l’autorité n’est jamais une arme de domination, mais un cadre de confiance.
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👉 Alors la question reste ouverte : comment faire, collectivement, pour que la transmission en Aïkido reste fidèle à son éthique, et que le pouvoir ne devienne jamais un ascendant ?
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De mon côté, j’ai choisi de passer par l’écriture. C’est une manière d’aborder ces sujets sensibles, de poser des mots là où souvent il n’y a que des silences, et d’inviter chacun à réfléchir à sa place et à sa responsabilité.

 

 

Conclusion

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Responsabilité, sincérité, fraternité… mais aussi courage, éthique, cohérence et remise en question : les valeurs de l’Aïkido ne sont pas faites pour rester sur une affiche.

Elles prennent leur sens quand elles sont mises en mouvement — et parfois, mises à l’épreuve.

C’est là, dans les choix quotidiens, les attitudes face à la difficulté, les débats internes à notre discipline, que ces principes prennent (ou non) toute leur portée.

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👉 Que valent nos valeurs quand la pratique, les relations humaines ou les tensions du monde martial viennent les bousculer ?

👉 Et surtout : que choisissons-nous d’en faire, concrètement ?

 

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