Article invité proposé par Pierre Blanchon, fondateur de Ganbare, site d’apprentissage du japonais.

« Qu’est-ce que l’aïkido » ? Cette question revient à chaque début de saison comme  une énigme à déchiffrer. Comment présenter cet art martial en une phrase, à des débutants ou à des curieux que l’on souhaite amener sur le tatami ? Si le judo ou le karaté sont bien ancrés dans les esprits, les contours de l’aïkido semblent plus difficiles à cerner. Bien souvent, le premier élément de réponse consiste en une explication : « vaincre un adversaire en retournant sa force contre lui ». Généralement suivie d’une découverte des caractères : 合気道. Je vous propose donc une découverte de l’aïkido à travers le prisme de la langue japonaise de tous les jours, en nous demandant bien sûr ce que vous pouvez en tirer pour votre propre parcours.

Le mot « aïkido » : ce que nous disent les caractères

Si vous avez déjà pratiqué l’aïkido dans un dojo, vous avez certainement aperçu cette calligraphie :

(Crédit image : Wikimedia

 

Il s’agit d’une graphie traditionnelle du nom de cet art martial, plus communément écrit 合気道 (aikidō) de nos jours. La prononciation exacte est la suivante, avec un o final allongé :

[Fichier audio Aïkido. Forvo.com

Ces trois caractères, appelés kanji en japonais, seront notre point de départ. Penchons-nous dessus pour donner une définition de l’aïkido susceptible de satisfaire le plus grand nombre. Ici, nous adopterons une pure approche linguistique, plutôt qu’une interprétation philosophique basée sur les écrits de Morihei Ueshiba. D’autres le feront bien mieux que moi.

 Aïki (合気), un concept fondamental

Tout d’abord, ne perdons pas de vue que dans le contexte de l’aïkido, le terme « aïki » (合気) possède un sens propre, que nous ne pouvons passer sous silence. Avant de le définir, examinons les deux caractères qui le composent : 合 (aï) et 気 (ki)

 合 (aï), l’idée d’unité et de concordance

Notre premier caractère, 合, possède plusieurs sens, mais celui qui nous intéresse ici renvoie à une idée d’unité ou de concordance.

 

Voici comment tracer le caractère合 !

(Source : Wiktionary

 

En japonais, il représente généralement deux éléments qui s’unissent pour provoquer un résultat, ou encore l’association de deux personnes. Par exemple, le terme 合い (aï), qui se prononce comme le合 d’aïkido,  peut revêtir le sens de « complice, associé ». 

Vous rencontrerez également ce caractère intégré dans des mots plus longs, comme par exemple le verbe 合わせる (awaseru), « unir, combiner », d’ailleurs utile pour l’aïkido.

Pour vous donner un exemple concret, dans la vidéo ci-dessous, le professeur montre une technique qui implique de « joindre les mains » (手を合わせ, te o awase). Comme rien ne vous échappe, vous aurez remarqué le caractère 合.

Source : Aikido Shinburenseijuku 

Autre dérivé très utile pour nous, le verbe 合う (au), « aller avec, correspondre », qui prolonge cette idée de concordance entre deux éléments.

Par exemple, 話が合う (hanashi ga au) pourrait se comprendre par « les conversations correspondent », pour donner le sens d’être sur la même longueur d’onde avec quelqu’un. 

Ou encore, 間に合う (ma ni au), « être dans les temps » ou « être suffisant ».

Ce même verbe 合う  se retrouve d’ailleurs collé à un autre verbe pour lui apporter une idée de coopération. Par exemple, 助け合う (tasukeau) est bâti sur la base du verbe 助ける (tasukeru), « aider », pour former le sens de « s’entraider ». Une bien belle notion, qui prend tout son sens dans le cadre de notre sport.

On trouve d’autres sens positifs, comme 持ち合う (mochiau), sur la base de 持つ (motsu), « avoir, tenir » pour donner « équilibrer, partager un fardeau »… comme d’autres moins positifs, comme 殺し合う (koroshiau), « s’entretuer » !

Le caractère 合 peut également avoir d’autres prononciations, ou « lectures » pour reprendre le terme technique. Même dans ce cas, son sens reste le même, comme dans 合流 (gōryū), « confluence, union », ou bien 合作 (gassaku), « travail commun, réalisation commune ».

Vous l’aurez compris, dans l’immense majorité des cas, le caractère 合 renvoie à l’image de deux éléments qui se combinent pour n’en former qu’un ou produire un résultat.

気 (ki), une notion essentielle de la culture japonaise

Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite remarque sur l’écriture : sur la calligraphie que je vous ai présentée plus haut et qui a de fortes chances d’être affichée dans votre dojo, le caractère « ki » est écrit 氣 au lieu de 気. Pourquoi cette différence ? Tout simplement parce que 氣 est la graphie traditionnelle de ce caractère chinois, qui a par la suite été simplifiée en気 au Japon et en气 en Chine continentale. 

Vous rencontrerez donc uniquement la graphie 氣 dans le chinois de Hong Kong et Taïwan. Du côté japonais, à part dans les calligraphies, c’est uniquement 気 qui est utilisé.

Le caractère 気 dans sa version traditionnelle, 氣.

(Source : Wikimedia

Cette précision établie, que dire au sujet du caractère 気 (ki), tant il est omniprésent tant dans la langue que dans la culture japonaises ? Un article (voire un livre entier !) n’y suffirait pas, nous nous contenterons donc d’un bref aperçu.

Les pratiquants des arts martiaux ont souvent tendance à présenter ce caractère avant tout à travers la notion de . Ce concept, venu de Chine, peut être vu comme une sorte de force en mouvement, ou encore comme un souffle de vie, qui anime le corps humain et l’univers tout entier.

 

L’ordre des traits du caractère 気.

(Source : Wiktionary

 

Cette idée se retrouve abondamment dans le japonais de la vie de tous les jours. Par exemple, il arrivera souvent que des amis japonais vous demandent si vous allez bien en vous demandant お元気ですか。(o genki desu ka ?),  ou 元気?(genki ?) dans le langage parlé.

Ici, le mot 元気 (genki) renvoie à un ancien terme chinois, 元氣, dont les caractères désignent une forme d’énergie (氣) primordiale (元). En d’autres termes, quand un Japonais prend de vos nouvelles, il veut savoir si vous avez de l’énergie en vous !

Le caractère 気 peut également revêtir une dimension psychologique. Par exemple, quand on dit d’une personne que 気が強い (ki ga tsuyoi, « le ki est fort »), c’est qu’elle a un caractère bien trempé. Ou encore, 気が長い (ki ga nagai, « le ki est long »), qu’elle a de la patience. 

Le ki peut aussi désigner le centre de l’attention. On retrouve cette idée dans plusieurs expressions essentielles. Par exemple, 気がする (ki ga suru), « avoir l’impression que », comme dans la phrase 明日は晴れる気がす (ashita wa hareru ki ga suru), « J’ai l’impression qu’il fera beau demain ».

Ou alors, 気が付く(ki ga tsuku), « se rendre compte de », 気を付ける (ki o tsukeru), « faire attention » ou encore 気になる (ki ni naru), « se demander, être préoccupé ». A noter que cette dernière structure peut également avoir le sens d’être intéressé par quelqu’un : 彼女のことが気になる (kanojo no koto ga ki ni naru), soit « Je suis intéressé par cette fille ». En d’autres termes, cette personne « devient le ki », soit notre préoccupation principale !

Par extension, le ki peut aussi correspondre à une émotion ou à une sensation, comme dans 気持ち (kimochi), « sensation, émotion », ou 気の毒 (ki no doku), « pitoyable, qui fait de la peine ». Pour l’anecdote, cette expression signifie littéralement « le poison du ki » !

Pour finir, le sens secondaire de « souffle » se retrouve aussi dans des termes liés à la météorologie, comme 天気 (tenki), le temps qu’il fait (soit « le ki du ciel » !), 空気 (kūki), l’air, ou 冷気 (reiki), « air froid ».

Je vais m’arrêter là, mais il existe des milliers de mots et expressions incorporant le caractère 気. Ce concept traverse donc à la fois le vocabulaire japonais et cette culture tout entière.

合気 (aïki), « harmonie de l’énergie », vraiment ?

Nous arrivons à la partie dans laquelle je ne vais peut-être pas me faire que des amis. En règle générale, le terme 合気 est traduit en français par « harmonie de l’énergie ». Cette tournure me pose problème, car le concept d’harmonie, lui aussi primordial dans la culture nippone, renvoie plus au caractère 和 (wa) qu’à 合.

Vous avez peut-être également entendu « concordance de l’énergie » ou « concordance des énergies ». Cette traduction est plus précise, mais pose également problème, car les mots japonais se construisent dans l’ordre inverse de celui du français.

Relevons au passage un point très important : « concordance de l’énergie », en japonais, se traduirait plutôt par 気合 (kiaï). Ce mot ne vous dit rien ? Mais si, pensez-y : votre professeur d’aïkido vous a sans doute déjà demandé de produire un kiai, soit un cri de combat. Dans l’imaginaire asiatique, ce hurlement se produit justement en rassemblant toute l’énergie (le ki) du corps. Cette erreur de traduction courante nous permet donc d’éclairer un autre concept majeur de l’aïkido, nous avons donc pu faire d’une pierre deux coups.

Si je n’ai pas la prétention d’apporter une traduction définitive au concept d’aïki, je peux vous proposer « énergies mises en concordance » ou « énergies unifiées ». Cette idée correspond bien à ce qui se passe durant une séance d’entraînement, quand uke et tori réunissent leur énergie en une seule, pour atteindre un état d’harmonie. Ce qui vous pousse souvent à ressortir de votre cours avec un grand sourire sur le visage !

道 (dō), « la voie »

 

Pour refermer cette définition, attardons-nous à présent sur le caractère 道. En japonais, il peut simplement signifier « chemin », mais il peut avoir un sens plus spirituel.

Peut-être avez-vous remarqué ce 道 (dō) dans les noms d’autres arts martiaux, comme le kendo (剣道), « voie du sabre », ou le judo (柔道), « voie de la souplesse ». Pour remonter à l’origine de ce terme, il nous faut là aussi retourner en Chine, où est né le concept de Tao, ou dào.

Nous n’entrerons pas dans les détails concernant le Tao, car là aussi, un livre article de blog n’y suffirait pas. Il a même donné naissance à un pilier entier de la culture chinoise, le taoïsme.

Le caractère chinois 道, qui désigne une voie ou un précepte.

(Source : Wikipedia)

Du côté japonais, le concept de « voie » est omniprésent dans les arts martiaux comme nous l’avons vu, mais pas uniquement. Ainsi, il se retrouve dans le très connu 武士道 (bushidō), la « voie du guerrier », mais aussi dans d’autres arts beaucoup moins martiaux. 

Peut-être connaissez-vous la fameuse cérémonie du thé, appelée 茶(sadō or chadō), soit la « voie du thé », la calligraphie, 書道 (shodō), la « voie de l’écriture » ou encore l’arrangement floral, 花道 (kadō), la « voie des fleurs ».

Pour résumer, le caractère 道 en japonais peut désigner à la fois une voie, un chemin, de manière très concrète, comme une voie spirituelle, dans laquelle l’élève s’engage en se soumettant à une discipline et à des préceptes moraux.

 

L’ordre des traits du caractère 道.

(Source : Wiktionary

 

Pour nous amuser un peu, je vous donne aussi le mot 気道 (kidō), qui signifie… « voie respiratoire ». Evidemment, rien à voir avec l’aïkido !

En conclusion, on peut avancer la traduction suivante pour le sens du mot aïkido : « voie de la mise en concordance des énergies ».

Comment vivre l’aikido en tant que millienials  

Après ce voyage dans la langue japonaise du quotidien, retournons à la thématique de ce blog pour nous demander quels enseignements nous pouvons retirer de cette vision de l’aïkido, en tant que pratiquant occidental du XXIe siècle.

Comment l’aïki se manifeste dans la culture japonaise

 

Ces dernières années, j’ai remarqué une tendance à cuisiner l’aïkido à toutes les sauces. Sont apparues des notions telles que « l’aïkido verbal », pour gérer plus efficacement vos relations professionnelles. Un peu étrange… mais pourquoi pas ?

Après tout, le concept d’aïki est loin d’être étranger à la culture japonaise du quotidien. Ainsi, là où les Français optent souvent pour la confrontation directe, les Japonais lui préfèrent généralement le compromis. Dans un environnement faisant la promotion de la discrétion et du conformisme, il est de bon ton de ne pas trop faire de vagues. 

Par conséquent, les Japonais préféreront presque toujours faire passer au second plan leurs opinions les plus tranchées, pour perpétuer une société harmonieuse. Ce réflexe peut donner, à tort, l’impression que vos interlocuteurs ne disent jamais vraiment ce qu’ils pensent, voire qu’ils sont hypocrites. Ce n’est évidemment pas le cas : les Japonais sont tout simplement habitués à donner leur avis de manière subtile, qui peut échapper à des étrangers peu au fait des coutumes locales.

Voyons à présent comment transposer cette idée d’aïki dans notre culture occidentale.

Des principes enrichissants, dont nous avons beaucoup à apprendre

 

Une tendance récente réduit l’aïkido au rang d’art martial « inutile », car difficile à transposer dans un contexte d’auto-défense. Si cette critique n’est pas forcément infondée, elle a l’effet délétère de concentrer l’attention uniquement sur ce que l’aïkido n’est pas.

Pour sortir de cette impasse, concentrons-nous sur plutôt sur ce que l’aïkido peut vous apporter en tant que pratiquant, débutant ou plus expérimenté.

合, la coopération

De la même manière que le caractère 合 renvoie à l’idée de collaboration entre deux personnes, c’est exactement ce que vous avez l’occasion de faire dans le cadre d’un cours.

Si l’aïkido classique ne met presque jamais l’accent sur la compétition, il vous offre au contraire la chance de travailler en coopération avec les autres élèves. Les plus gradés corrigent vos techniques et vous pouvez alors améliorer votre geste, avec humilité. Inversement, vous pouvez aider les débutants à décortiquer ces techniques qui peuvent sembler si compliquées de prime abord.

Une séance est donc une invitation à mettre en commun votre énergie avec d’autres personnes qui peuvent être des amis de longue date comme de parfaits inconnus. Certains seront plus âgés ou plus jeunes que vous, plus ou moins imposants physiquement, avec une plus grande expérience des arts martiaux. Quoi qu’il en soit, vous interagirez dans un but commun : vous améliorer non pas seul, mais collectivement.

気, l’énergie

L’aïkido est en outre un excellent moyen d’améliorer non seulement votre forme physique, mais aussi votre confiance en vous.

Vous aurez entre autres l’occasion de vous assouplir à force de vous faire tordre le poignet dans tous les angles imaginables, de gagner en endurance à force de vous faire mettre par terre ou encore d’améliorer votre posture (le fameux shisei, 姿勢) en réalisant les techniques.

Quant au volet « énergie », vous aurez là aussi de quoi faire : rien de tel que les chutes en séries ou les randori (attaque de plusieurs adversaires) pour évacuer votre stress de la semaine. Je soupçonne que cet effet « cardio » de l’aïkido est la raison secrète pour laquelle les parents inscrivent en masse leurs enfants à ce sport : pour canaliser leur énergie débordante !

Mais ce n’est pas tout : vous y gagnerez également sur le plan psychologique. Lorsque j’ai commencé l’aïkido, l’adolescent peu dégourdi que j’étais alors a trouvé dans l’aïkido une voie vers une plus grande confiance en lui

Pratiquer un art martial, c’est aussi apprendre à marcher la tête haute et se rendre compte qu’on peut tomber et se relever. Comme diraient les Japonais, 七転び八起き (nana korobi ya oki) : « tomber sept fois, se relever huit fois ».

道, la voie

Notre société  est devenue un monde de « trop-plein » : il n’est pas facile de choisir sa voie tant les options sont nombreuses, de se concentrer sur un projet tant les distractions sont omniprésentes. Nous finissons souvent frustrés, à commencer des tâches que nous ne terminons jamais et à tout survoler, sans ne jamais rien approfondir. 

Là aussi, les arts martiaux vous ouvrent (littéralement) une voie, qui vous aide à tracer une ligne claire de vos premiers pas jusqu’à la ceinture noire (et au-delà !). Tout ce que vous avez à faire, c’est vous rendre à votre club aussi régulièrement que possible, pour améliorer sans cesse votre pratique.

Pour tout vous dire, j’ai dû arrêter l’aïkido au début de ma vie d’adulte, par manque de temps. Par la suite, j’ai toujours eu quelque chose qui me démangeait : une envie de reprendre une évolution que j’avais trop longtemps délaissée, pour « finir ce que j’avais commencé », en quelque sorte. 

Vous aussi, vous pourrez y trouver un moyen de focaliser votre attention sur des projets qui vous tiennent à cœur, pour les concrétiser ou pour développer vos compétences jusqu’à l’excellence.

Pourquoi ne pas essayer l’aïkido dès maintenant ?

 

J’espère que cet angle d’approche, à travers la langue japonaise, vous aura aidé à cerner plus précisément les contours de l’aïkido. Comme le souligne Yéza dans ses articles, cet art martial se trouve actuellement dans une crise d’identité, dont découle naturellement une hémorragie d’adhérents. 

Trop souvent incapable de se définir, il a du mal à produire sur lui-même un discours clair et facilement compréhensible, condition sine qua non pour attirer de nouveaux adhérents.

Si cette tentative de définition vous a ne serait-ce qu’intrigué, je ne peux que vous inviter à rechercher un ou plusieurs clubs d’aïkido près de chez vous et à vous rendre à un cours d’essai. Vous aurez alors le loisir de découvrir cette « voie de la mise en concordance des énergies » et de comprendre ce que cette formule un brin mystérieuse signifie pour vous.

Pour finir, si l’apprentissage du japonais lui-même vous intéresse, vous pouvez d’ores et déjà vous inscrire sur mon nouveau site, Ganbare. Vous y trouverez un kit de démarrage très complet pour vous (re)mettre sans plus tarder au japonais.

Je vous remercie d’avoir pris le temps d’avoir lu cet article. Je vous donne donc rendez-vous dans les commentaires pour poursuivre la discussion, sur mon site ou, pourquoi pas, sur un tatami ! 

 

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