L’Aïkido se présente souvent comme un art de paix, d’harmonie et de respect. Pourtant, quand on regarde la réalité des dojos, on découvre parfois un autre visage : des différences invisibilisées, des évidences ignorées, et une culture de l’effacement qui met sous silence des comportements inacceptables.

Cet article n’a pas pour but de détruire l’image de notre discipline. Au contraire : il vise à redonner sens aux valeurs que l’Aïkido prétend incarner. En parlant de féminisme, de légitimité, de place des femmes et de cohérence éthique, il s’agit de remettre au cœur de notre pratique ce qui compte vraiment : l’équité, la dignité et le respect.


C’est quoi la culture de l’effacement en Aïkido ?

En Aïkido, on parle d’harmonie et de respect. Mais il existe aussi une autre réalité : une culture de l’effacement.

Effacer un geste déplacé en minimisant sa portée.

Effacer des paroles humiliantes en invoquant l’humour.

Effacer un passif embarrassant en discréditant les voix les plus courageuses.

Cet effacement n’est pas neutre. Il protège toujours celui qui dépasse les limites et il abandonne celui ou celle qui les subit.

Ce n’est pas de l’harmonie.C’est une culture de la soumission, où l’on confond respect et obéissance, et où l’on se prosterne devant un grade tout en s’asseyant sur la dignité d’un pratiquant.

Cette culture de l’effacement, c’est la culture du laisser-faire. Elle peut ruiner la cohésion d’un dojo et bafouer les valeurs mêmes de l’Aïkido.


➡️ Cette culture du silence n’est pas une fatalité. Elle met simplement en lumière à quel point il reste du chemin à parcourir pour que les dojos soient réellement des espaces sûrs. Et c’est là que la question du féminisme prend tout son sens.


 C’est quoi le féminisme en Aïkido ?

Si j’ai choisi d’aborder ce sujet, c’est parce qu’il y a encore une large marge de progression dans nos dojos. Des évidences ne sont toujours pas respectées, et pourtant elles sont essentielles pour créer un espace de pratique sûr et aligné avec les valeurs de l’Aïkido.

Concrètement, ça veut dire :

  • 🚮 Mettre une poubelle dans les vestiaires et prévoir des protections périodiques. Ce n’est pas un détail, c’est du respect.

  • 🩸 Prendre en compte le cycle menstruel : comprendre qu’une pratiquante peut avoir besoin d’adapter son intensité certains jours, sans jugement ni suspicion.

  • 👭 Créer des espaces de sororité : cours entre femmes, temps de parole, ou moments informels où l’on peut échanger librement.

  • 🚫 Agir face aux propos ou gestes déplacés : ça ne veut pas dire détourner le regard ou “faire de l’humour”, mais mettre fin à un stage, rappeler publiquement les règles, ou sanctionner clairement l’auteur. Le silence, c’est de la complicité.

  • 🥋 Normaliser des choix vestimentaires pratiques : accepter qu’une femme porte sa ceinture au-dessus de la taille pour son confort, ou envisager d’ouvrir la réflexion sur des keikogi d’une autre couleur que le blanc, comme cela existe déjà dans d’autres fédérations.

  • 🎓 Développer la formation : aujourd’hui, il existe très peu de modules pour sensibiliser aux différences physiologiques entre hommes et femmes, ou aux problématiques de harcèlement. C’est pourtant une étape indispensable si l’on veut que les enseignants disposent d’outils clairs pour agir et prévenir.

👉 Le féminisme en Aïkido, ce n’est pas seulement un message des femmes envers les hommes.

C’est aussi un message des femmes envers les femmes : arrêter de croire qu’elles doivent toujours s’adapter à un univers pensé par et pour les hommes.

Le dojo est un lieu pour toutes et tous. Et pour que le respect y soit réellement appliqué, il faut parfois des adaptations.

Le féminisme, ce n’est pas chercher une égalité de façade, mais construire une équité qui prend en compte nos différences  — et c’est tout simplement la continuité des valeurs que l’Aïkido porte déjà.


➡️ Mais la question dépasse encore le simple constat d’inégalités. Derrière le mot “féminisme” se cache une autre interrogation : faut-il “féminiser” l’Aïkido, et si oui, qu’est-ce que cela signifie vraiment ?


Féminiser l’Aïkido, ça veut dire quoi concrètement ?

On entend parfois qu’il faudrait rendre l’Aïkido plus “féminin”.

Mais qu’est-ce que ça veut dire exactement ?

👉 Pour certaines, c’est aller vers une pratique plus rugueuse, plus physique, en gommant les différences avec les hommes.

👉 Pour d’autres, c’est au contraire affirmer leur singularité, leurs particularités physiques, leur rapport différent au corps et au mouvement.

Et quand on parle de “prendre des responsabilité” dans l’Aïkido, il ne s’agit pas seulement d’intégrer les instances dirigeantes ou d’assumer des responsabilités administratives — souvent peu attractives, parfois difficiles d’accès, notamment par manque de temps ou de disponibilité.

Prendre des responsabilités, c’est aussi très concret :

  • gérer la communication du club,

  • animer des cours,

  • se voir confier un créneau spécifique,

  • être encouragée à passer ses grades ou ses diplômes d’enseignement,

  • ou encore bénéficier d’espaces spécifiques, comme des cours non mixtes.

Ne faisons pas semblant : les différences entre hommes et femmes existent déjà. Elles sont physiologiques, elles sont sociales. Et comme le tatami est un miroir du monde extérieur, les mêmes problématiques s’y retrouvent.

Alors plutôt que d’en faire un “non-sujet”, demandons-nous : quels sont les vrais sujets à traiter quand on parle des femmes et de l’Aïkido ?

De mon point de vue, tant qu’on fera du mot féminisme un gros mot, et tant qu’on cherchera à étouffer les différences entre les hommes et les femmes, on passera à côté du sujet.

Or c’est précisément dans la reconnaissance de ces différences que l’on peut redonner tout son sens à l’harmonie, qui est l’essence même de notre discipline.


➡️ Et si cette reconnaissance passait aussi par une réflexion plus intime : celle de la légitimité ? Car avant de transformer l’institution, il y a aussi des parcours personnels qui en disent long sur la place des femmes en Aïkido.


Pourquoi j’ai passé mes grades (et mon B.F.) en Aïkido

Je n’ai pas décidé seule de passer mes grades.

Une partie de mes enseignants m’a incitée à tenter l’expérience. Ils ont ouvert une porte… et j’ai eu envie d’y entrer.

Je leur en suis reconnaissante : sans cette impulsion, je n’aurais peut-être pas osé. Ces passages m’ont permis d’aller plus loin, de me découvrir capable, et d’obtenir mon B.F. (brevet fédéral). Ils m’ont donné de la confiance et une forme de légitimité que je n’avais pas imaginée au départ.

Mais il y a aussi une ambivalence : l’élan est venu de l’extérieur, plus que de moi.

Avec le recul, je vois que ce chemin a été précieux : il m’a donné confiance avant de me donner de la technique. Et aujourd’hui encore, cette confiance reste un moteur, même si la question de la légitimité demeure parfois en arrière-plan.

Alors, les femmes sont-elles moins « ambitieuses » que les hommes dans la montée en grade ? Pour être honnête, je ne peux pas affirmer que le sujet soit 100 % féminin. Toutefois, les statistiques fédérales ne mentent pas : plus on monte en niveau, moins il y a de femmes gradées et diplômées.

Peut-être que le vrai travail, finalement, ce n’est pas seulement de passer un grade… mais d’oser se dire au fond de soi qu’on le mérite vraiment.

Et c’est quand on se sent vraiment légitime qu’on peut transmettre l’Aïkido avec énergie, et le pratiquer en harmonie avec soi-même comme avec ses partenaires.


 Conclusion

Parler de féminisme, de parcours technique ou de culture de l’effacement en Aïkido, ce n’est pas dénigrer notre discipline. C’est au contraire lui rester fidèle.

Un dojo ne se construit pas seulement sur des tatamis et des techniques : il se construit aussi sur des valeurs. Refuser l’effacement, reconnaître les différences et penser l’inclusion, encourager les femmes à prendre leur place, c’est redonner tout son sens à l’harmonie que nous cherchons à incarner.

L’Aïkido n’a pas besoin d’être transformé pour devenir plus juste.

Il a simplement besoin d’être pratiqué en cohérence avec ce qu’il proclame : respect, dignité, équité.

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