Lorsqu’on définit l’Aikido, on utilise couramment le concept d’harmonie. Cependant, derrière cette apparente fluidité se cache un véritable défi : incarner pleinement son rôle de uke ou de tori. Ces deux figures, indissociables dans la pratique, sont bien plus que de simples rôles figés. Uke, celui qui attaque et reçoit la technique, et tori, celui qui les exécute, doivent chacun développer des compétences spécifiques et un état d’esprit particulier pour que la pratique soit fluide. Naviguer entre la réception et l’émission, entre l’attaque et la défense, tout en maintenant un esprit de coopération et de respect, est un exercice complexe qui demande du temps, de l’effort et une profonde compréhension des principes de l’aïkido. Dans cet article, nous allons explorer les difficultés inhérentes à chaque rôle, les obstacles courants auxquels les pratiquants font face, et comment surmonter ces défis pour atteindre une pratique plus dite “harmonieuse”.

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Bloquer tori dans sa technique : productif ou néfaste ?

Lorsqu’on pratique sur un tatami, il nous arrive d’être repris ou corrigé par d’autres élèves. Parfois même, nous sommes ces élèves.
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Il n’est pas toujours facile d’accueillir la critique, et cette dernière n’est pas toujours constructive. Parfois, elle peut tout simplement prendre la forme d’un blocage sec de notre technique, sans parole…et sans explication.
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En aikido, il n’est pas toujours facile de trouver le juste équilibre entre laisser passer une technique qui ne marche pas (et se dire que le prof corrigera), aider corporellement son partenaire à la corriger (il faut déjà être en capacité de repérer ce qui bloque), ou le bloquer totalement avec force (et le laisser face à son incompréhension).
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La question est donc : à quel moment le blocage devient-il formateur et à quel moment est-il stérile ?
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“Bloquer” ou montrer corporellement que la technique ne passe pas peut-être constructif dans la mesure où l’on veut montrer qu’une simple connivence ne suffit pas à réussir une technique. C’est tout le rôle d’un Uke présent et connecté à son partenaire.
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Dans ce contexte, un partenaire peut montrer à l’autre que :
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🔹 son regard n’est pas orienté sur le partenaire, et simuler un Atemi pour lui en faire prendre conscience (exemple : shiho nage omote sur katate dori)
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🔹 son centre n’est pas orienté vers le partenaire, qui n’est donc pas déséquilibré (exemple : shomen uchi, ikkyo)
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🔹 son corps n’est pas sorti de la ligne d’attaque, et s’expose à une frappe (coup de pied ou autre)
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Ces petits blocages ne sont pas méchants mais permettent au pratiquant de comprendre pourquoi sa technique ou sa posture s’avèrent fébriles.
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En revanche, bloquer son partenaire sur le plan musculaire, sans explication peut s’avérer stérile :
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🔹 Certes, on comprend que le placement n’est pas bon
🔹 Ou que nous avons essayé de passer une technique à la force de nos bras.
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Toutefois, bloquer musculairement son partenaire et prendre l’ascendant sur lui physiquement n’est pas toujours constructif. Surtout lorsqu’aucune explication n’est donnée. Démontrer par la force, c’est instaurer une inégalité.
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Gardons également en tête que si l’écart de niveau et de gabarit entre les partenaires s’avère conséquent, certaines techniques passeront plus difficilement.
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A titre personnel, en tant que petit gabarit et 2ème Dan (seulement), il ne m’est pas toujours facile :
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💢 De développer une grande dextérité manuelle dans mes contrôles sur de grosses mains glissantes
💢 De réussir à vraiment déséquilibrer mes partenaires quand je suis moi-même déséquilibrée par leur poids en déséquilibre
💢 D’acquérir une puissance dans mon centrage quand je suis bloquée musculairement par l’autre
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L’Aikido n’est pas un art martial qui prône l’opposition, et l’objectif n’est pas la victoire sur l’autre. Dans ce cadre, résister pour résister, ou résister pour flatter son égo est vain. Le sens de l’Aikido, c’est au contraire l’apprentissage au contact de l’autre, dans la collaboration…cette fameuse harmonie mutuelle.
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Les atemis portés remettent-ils en cause le principe d’intégrité en Aikido ?

L’Aikido est un art martial non violent régi par plusieurs principes dont une partie est liée à des aptitudes comportementales :
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➰ Le respect du reishiki (étiquette et règles protocolaires)
➰ Le shisei (la posture du pratiquant)
➰ La martialité (liée à la notion de vigilance)
➰ Et le principe d’intégrité, qui m’intéresse particulièrement dans cette réflexion.
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La préservation de l’intégrité physique et morale de son partenaire en aikido est à mettre en parallèle avec le principe des atemis, propres à certains arts martiaux.
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En aikido, les atemis sont souvent simulés*, mais pas toujours portés.
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Les atemis (frappes) ont pour objectif de faire prendre conscience à son partenaire du danger que son placement ou sa posture peut représenter pour lui-même. Les atemis permettent également de mettre une distance avec son partenaire pour se protéger.
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Dans ce contexte préventif et dissuasif, porter les atemis est-il pertinent ?
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On peut en effet s’interroger :
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🔹 Si on ne porte pas vraiment l’atemi, le pratiquant voit-il vraiment le danger ?
🔹 Faut-il habituer les pratiquants à être touché physiquement par leur partenaire ?
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Pour autant, les atemis portés peuvent-ils remettre en cause le principe d’intégrité ?
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Si on accepte que l’atemi soit réellement porté, on peut s’interroger sur :
✅ La capacité des pratiquants à trouver le bon dosage dans l’atemi (dans le feu de l’action, l’effleurement peut devenir une pichenette, voire une tarte)
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✅ La dérive de l’humiliation liée à la claque mise au partenaire mal placé (car il y a évidemment d’autres moyens de faire bouger un partenaire)
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✅ La sacralisation ou non du visage : zone interdite ou zone banalisée ?
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Je n’ai pas d’avis tranché sur cette réflexion, car ces points de vue peuvent être soutenus par des argumentaires solides.
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Cependant, il est important de garder en tête que l’intégrité d’un partenaire n’est pas seulement physique, mais psychologique. Sous cet angle, il est important de s’assurer que notre geste n’ait pas été traumatisant.
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Gardons en tête que ce qui est montré par l’enseignant, n’est pas toujours ce qui est reproduit par les pratiquants.
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Gardons en tête que l’aikido est pour les licenciés, un choix conscient, parmi d’autres arts martiaux au contact plus rapproché.
Gardons en tête que le caractère non traumatisant de la pratique au dojo, est le garant de l’éthique du budo.
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* dans la pratique fédérale que je connais en tout cas.
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Conclusion : c’est quoi être un “bon” partenaire en Aikido ?

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Lorsqu’on parle de bon partenaire, on pense tout de suite au rôle de Uke, et de sa capacité à suivre le mouvement proposé par Tori (et notamment chuter).
Toutefois, être un bon partenaire ne se résume pas à être un bon Uke”.
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Être un bon partenaire, c’est aussi savoir adapter son rythme à celui de son partenaire : en aikido, il n’y a pas de gagnants, par conséquent, inutile de prendre 3 temps d’avance si votre partenaire ne suit pas.
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Être un bon partenaire, c’est savoir adapter sa pratique au gabarit de son partenaire : si vous êtes très grand et votre partenaire très petit, il va falloir descendre sur vos appuis pour une technique d’étranglement. Si vous êtes costaud, et votre partenaire une crevette, dosez vos frappes.
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Être un bon partenaire, c’est mettre son partenaire en sécurité physique : si vous pratiquez avec une personne aux fortes appréhensions physiques, n’imposez pas la chute à votre partenaire (vous n’y gagnerez rien au change). De même, ne projetez pas votre partenaire en direction de l’intérieur du tatami.
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Ces points semblent basiques mais pas toujours évident pour tous dans la pratique. Ca ne veut pas dire qu’il ne faut pas challenger son partenaire pour le faire progresser. Simplement que si l’on ne connaît pas bien son partenaire, mieux vaut y aller étape par étape.
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Car c’est de la confiance que naît la connexion.
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Et de la connexion que peut se développer la pratique.
Ce n’est pas une question de niveau,
Ce n’est pas une question de gabarit,
C’est une question d’intelligence, et surtout, de bienveillance.
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Bonne réflexion,
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Yéza
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