Carine, pratiquante d’Aikido de 48 ans, propose un retour d’expérience sur son choix de pratiquer l’aïkido après l’essai de plusieurs sports de combats, mais également au regard de son histoire, de son handicap invisible et de sa recherche personnelle dans les arts martiaux. Pourquoi l’Aikido ? Pourquoi est-elle restée ? Ce n’est pas qu’une question de pratique, mais également d’enseignant et d’enseignement. Bonne lecture.
L’initiation aux arts martiaux suite à un passé traumatique
Je ne suis pas la pratiquante la plus expérimentée pour parler de mon expérience d’Aikido car je ne suis que 5ème kyu, mais j’espère apporter à mon tour un témoignage qui pourra inspirer de futurs pratiquant(e)s.
Pour me présenter rapidement, je m’appelle Carine, j’ai 48 ans et je suis la maman d’un jeune homme qui vient de fêter ses 19 ans.
Lorsque j’ai divorcé – certains diront que je traversais la crise de la quarantaine – , j’étais exposée au réveil de la mémoire traumatique qui se faisait de plus en plus bruyante. J’étais confrontée à la difficile épreuve de tenter de reconstituer un puzzle, tel un vase brisé. Ayant été régulièrement agressée, si ma mémoire mnésique me faisait défaut, la mémoire du corps, elle, n’avait pas oublié.
Consciente de ce tsunami émotionnel interne, j’ai décidé de prendre soin de moi et de ma relation avec mon fils, alors âgé de 14 ans. Il a souhaité s’inscrire tout d’abord à la salle de sport et nous avons pratiqué ensemble, environ un an et demi. Nous prenions confiance et conscience d’aimer le sport et lorsqu’il a souhaité s’inscrire au club de boxe, une collègue m’avait proposé de l’accompagner à des cours de Krav Maga. Cette dernière s’est rapidement défilée mais j’ai persévéré. Nous étions avec mon fils dans le même dojo les mêmes jours à des horaires sensiblement décalés.
Le Kravmaga, pour répondre à un besoin de sécurité post-traumatique
Ce qui m’a séduite dans le Kravmaga, c’est l’efficacité promue par l’enseignant, mais également la rapidité avec laquelle je serais en mesure de savoir me défendre de façon spectaculaire.
Le fait de divorcer m’a fait ressentir un profond sentiment d’insécurité, n’ayant plus d’homme dans ma vie pour me protéger, quand bien même cette protection n’était que psychologique.
C’est avec assiduité que j’ai suivi tous les cours de la saison, mais cela a été un défi de taille pour moi. Je devais accepter le contact physique, une violence évidente, mais je me disais qu’il n’y avait pas meilleure thérapie que de soigner le feu par le feu. Je ressortais couverte de bleus, de plus en plus marqués à force de frapper sans logique aux mêmes endroits, principalement les avant-bras, les mains, parfois le ventre. Les muscles n’étaient pas en reste, les low kick sur les cuisses ou les coups sur les tibias m’ont fait longtemps souffrir. Mais j’y retournais, persuadée que chaque cours était un acquis nécessaire à ma survie car je me sentais en permanence en hypervigilance et en danger.
Hyperlaxe, je me laissais contorsionner sans vraiment ressentir la limite du supportable. Mais ce qui m’a le plus éprouvée, c’est lors d’une prise d’étranglement lors de laquelle je n’ai pas réussi à dissimuler une crise d’angoisse. J’ai apprécié que l’enseignant et le partenaire me laissent le temps de reprendre mon souffle.
Malgré cela, je m’imposais une discipline en y allant régulièrement car c’était dans un cadre sportif et sécurisant mais ce qui m’a déplu le plus, c’était de ne pas comprendre la finalité des techniques, des coups reçus. Nous testions un peu toutes les techniques, faisons des sparring, du karaté, mais aussi beaucoup de clés et de techniques qui venaient de l’Aïkido. Je touchais à tout mais je n’apprenais rien. Notre coach nous répétait que nous étions des armes brutes, et ça m’a donné l’illusion d’être forte et d’être capable de me défendre.
Mais j’ai vite compris qu’il était dangereux de nous laisser penser que nous étions invincibles car aucune maîtrise ne s’acquiert en si peu de temps et force est de constater que j’aurais été bien incapable de maîtriser une clé de bras même après 9 mois de pratique régulière.
Le besoin d’apprendre à me défendre a longtemps guidé mes choix
Lorsque mon cours se terminait, j’attendais sur le bord du tatami que celui de mon fils se termine et j’observais un club plus discret, en kimono blanc, s’entrainer patiemment et sans jamais hausser le ton, des pratiquants qui me semblaient débutants et au moins aussi gauches que je ne l’étais alors.
Je me faisais la réflexion intérieurement, que je m’étais trompée de cours, et je regrettais de ne pas avoir choisi ce club-là.
Je les observais avec beaucoup d’attention, lorsqu’ils ne me regardaient pas.
C’était trop tard pour moi pour changer, lorsque je m’engage quelque part, j’aime aller au bout des choses.
Mais la violence montait d’un cran dans mon club et mes mains, mes poignets bleutés me conféraient certes, l’allure d’une guerrière qui tenait à distance ceux qui tentaient de m’intimider au travail. Mais je m’exposais à des déclencheurs continus que j’avais du mal à réguler et j’ai fini par me dire que je ne respectais pas mon corps à le malmener ainsi, que le sport doit faire du bien, et pas l’inverse.
J’étais à bout mais j’avais du mal à l’admettre, j’aimais faire du sport, j’aimais me défouler mais j’ai finalement cessé d’aller aux cours trois semaines avant la fin de la saison pour me préserver.
Ma recherche d’une pratique martiale portée sur l’efficacité s’est poursuivie, d’abord suivi quelques cours très ponctuels de Savate défense dans le club de mon fils et j’ai apprécié cette courte expérience, car l’enseignant était compétent, les exercices avaient du sens, et c’était expliqué, mais surtout, je partageais une activité avec mon enfant. Mais lorsque mon fils n’a pas voulu me suivre aux cours, je n’ai pas réussi à y retourner seule. A nouveau la peur m’envahissait.
Le cadre bienveillant de l’Aïkido m’a permis de prendre confiance en moi
Sur la même période, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai rejoint le club d’Aïkido que j’avais si longtemps observé et qui avait lieu en même temps que les cours de mon fils.
Nous n’étions pas nombreux, mais rapidement une solide amitié s’est nouée avec mon partenaire Akim, puis tous les autres aïkidokas. Corinne et Christophe sont des enseignants extraordinaires et m’ont vraiment surprise par leur patience à toute épreuve, surtout en formant les débutants de l’extrême que nous étions.
Étonnement, j’avais l’impression d’être en proie à une peur permanente, et plus le sentiment de sécurité était présent au sein de mon club d’Aïkido plus ma peur me dominait. C’était assez paradoxal de se dire que je me sentais plus dans mon élément dans un climat de violence. Mais à aucun moment, mes enseignants n’ont été déstabilisés devant mes réactions de plus en plus visibles. Cette maitrise de soi, chez mes enseignants a été déterminante pour que je me sente en sécurité. De plus, leur grande expérience de la pratique de l’aïkido leur a permis de développer cette assurance sereine qui me renvoyait un sentiment de confiance. Cette attitude doublée d’une pédagogie qui me parle m’a permis de rester sur les tatamis.
Avec patience, ils nous répétaient les gestes à réaliser. Moi qui étais habituée à être dans l’urgence et dans l’exécution rapide d’un mouvement non maîtrisé, j’apprenais à répéter des gestes, lentement, et sans me décourager.
La première année de pratique, j’enchainais les erreurs de coordination, j’inversais ma droite et ma gauche, j’avais du mal avec ma proprioception et ma respiration. J’étais très handicapée également par des problèmes de mémoire et il m’était compliqué de mémoriser les techniques. Mais j’ai rapidement aimé les chutes, avec une préférence pour la chute avant, ainsi que la technique Shiro Nage que j’ai rapidement comprise et que je me plais à désigner comme étant ma préférée.
Corinne et Christophe étaient plus que des enseignants, ils étaient devenus des amis. En tant qu’élève, nous étions encouragés à prendre confiance en nous, à aller dans les autres clubs du département où nous y avons été accueillis avec la même bienveillance et patience.
Aujourd’hui, je suis toujours comme une enfant émerveillée quand j’observe les gradés exécuter les techniques, chuter et taper avec le plat de leurs mains dans un bruit qui évoque la puissance et la force tranquille des pratiquants.
Plus qu’une pratique sportive, l’Aïkido a répondu à ma quête de sens
En pratiquant l’Aïkido, j’ai appris à me connaître mais surtout à m’accepter telle que je suis. Par cet article, je me permets de remercier la bienveillance de mes enseignants et de mes partenaires d’entrainement à mon égard.
Aujourd’hui, je ne manque pour rien au monde les entraînements et j’arrive à me rendre en stage ou dans d’autres clubs voisins seule, sans cette peur qui me tétanisait par le passé. Mes enseignants ont eux aussi appris à me connaître, à apprivoiser mon trouble de stress post-traumatique complexe, et me rappellent régulièrement que je dois m’écouter lorsque la fatigue se manifeste, et eux semblent toujours le percevoir avant moi.
J’ai appris à leur faire confiance, et si je n’avais qu’un seul regret, c’est de ne pas avoir franchi plus tôt la porte du dojo.
En cette deuxième année de pratique, je peux dire que j’ai enfin trouvé ma place dans une discipline qui me ressemble et qui prône des valeurs qui me parlent. A tous les débutants qui se laisseraient tenter par ce bel art martial, je dirais de ne pas se fier aux apparences, les techniques sont le résultat d’un apprentissage minutieux, patient et bienveillant envers soi-même et envers ses partenaires: c’est le secret de la progression en Aikido ! Le handicap invisible qui m’affecte n’est pas un obstacle à la pratique et c’est même tout l’inverse. Car on s’adapte les uns aux autres, on se dépasse en permanence et on s’amuse aussi.
Je continue d’apprendre et j’espère qu’un jour à mon tour, je pourrais aider de nouveaux pratiquants en les accueillant comme j’ai été accueillie dès les premiers instants.
Merci Carine pour ce témoignage !