J’ai eu le plaisir d’interviewer 3 pratiquantes d’aikido qui ont accepté de parler leurs grossesses respectives mais également de la pratique avant et après cet événement. J’ai souhaité aborder ce sujet car il n’est pas souvent traité, mais également car chaque expérience est unique. Ces 4 pratiquantes ont en effet vécu des expériences différentes et vous les découvrirez dans leur témoignages. Certains vous permettront peut-être de vous identifier, ou tout simplement de découvrir une dimension peu communiquée de la vie des pratiquantes.

Je remercie Audrey Goaper, Célia Fenollar, et Marie Roche pour leur temps et leur partage.

Bonne lecture.

 

1/Pouvez-vous vous présenter ?

 

Audrey GOAPER

 

Audrey Goaper : Je m’appelle Audrey, j’ai 33 ans et 22 ans de pratique (début chez les enfants puis chez les adultes). J’ai commencé l’aïkido en 5e avec pour envie de pratiquer un sport sans compétition, mais également parce que “Buffy contre les vampires” était ceinture marron de Taekwondo, ce qui m’a influencée à l’époque.

J’ai obtenu mon dan en 2011 pendant mes études de sage-femme, mon 2ème dan en février 2015 juste avant la naissance de mon enfant en octobre 2015.

J’ai poursuivi la pratique après la grossesse et ai obtenu mon Brevet Fédéral en 2018. Après un premier échec du passage de mon 3e dan en 2019 et une remise en question, j’ai repris mes études de médecine en 2021 et ai obtenu mon 3e dan en 2023.

Célia FENOLLAR

 

Célia Fenollar : Bonjour je m’appelle Célia, j’ai 28 ans et je suis 3e dan. J’ai commencé l’aïkido en 2012 avec Laurent Boudet au club des Ulis, ensuite j’ai continué ma pratique au Cercle Tissier de 2014 à 2020 avec plusieurs professeurs, j’allais particulièrement aux  cours de Bruno Gonzalez senseï et Christian Tissier Shihan que je suivais régulièrement en stage, et depuis 2020 je m’entraîne avec Philippe Gouttard Shihan à Grenoble.

 

 

Marie ROCHE

Marie Roche : Je m’appelle Marie, j’ai 29 ans et je pratique l’aïkido depuis mes 8 ans donc depuis plus de 20 ans. Je suis 3eme dan UFA et enseignante au Shoshin dojo dans la section Jura principalement. Je suis également secrétaire du CID Franche Comté et membre du comité technique régional de Bourgogne Franche Comté.

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2/ Combien de grossesses avez-vous connu ?

 

Audrey GoaperJe n’ai qu’un enfant, né en 2015 – 8 mois après mon 2ème dan (oui oui ^^)

 

Célia Fenollar : Je suis actuellement dans le 6eme mois de ma troisième grossesse.

 

Marie Roche : J’ai connu une seule grossesse qui s’est extrêmement bien passée je suis assez chanceuse de ce point de vue !

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3/ Avez-vous pratiqué pendant la grossesse ?

 

Audrey Goaper : Au moment de mon passage de 2ème dan, j’ai dû fournir un certificat médical de non contre indication à la compétition. A l’époque, sachant que nous venions de nous marier et que la question n’était pas du tout tabou, il m’a été demandé un certificat de non-grossesse… Ce que j’ai donc catégoriquement refusé de faire.

 

Hasard de calendrier, j’ai passé mon grade le 8/02, ma grossesse a officiellement débutée le 09/02…

 

Célia Fenollar : Je n’ai pas pratiqué pour ma première grossesse puisqu’elle s’est déroulée en 2020 pendant le covid. Pour ma 2e grossesse, j’ai pratiqué jusqu’à la fin de l’année scolaire entre 6 et 7 mois de grossesse. Je pratique encore pour la grossesse en cours (dans le 6e mois). Je pratique normalement jusqu’à 4 mois et demi environ, ensuite le ventre devient gênant pour les chutes et les immobilisations.

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Celia Fenollar à 6 mois de grossesse – avec Philippe Gouttard (octobre 2024)

 

 

Marie Roche : J’ai pratiqué jusqu’au terme (en quelque sorte), car j’ai accouché presque 15 jours en avance. Ce qui était pratique en tant qu’enseignante, c’est que mon accouchement était prévu pour mi-juin, donc je m’étais dit que je donnerais des cours jusqu’à début juin mais… j’ai accouché le 3. J’ai donc donné des cours jusqu’à fin mai (je donne un cours par semaine le mardi et j’ai accouché le vendredi). J’avais arrêté les stages en décembre et les chutes en début d’année….à 5 mois de grossesse environ. 

 

4/ Vous avez repris la pratique après l’accouchement : est-ce que les choses ont changé depuis ?

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Audrey Goaper : Je ne me rappelle plus exactement quand j’ai repris après l’accouchement. J’avoue avoir été sacrément chamboulée par la grossesse et me suis détournée de l’aïkido pendant cette période.

 

Puis prise par le tourbillon de l’arrivée de mon enfant, avec des conditions de gardes difficiles entre nos boulots respectifs de parents, retrouver un rythme a été très compliqué. Pour être honnête, je n’avais plus vraiment envie de remonter sur les tatamis.

 

J’ai pris une licence après ma grossesse mais je pense que j’ai repris sérieusement lors de la saison 2017/2018 soit, un an et demi après la naissance de mon fils.

Ce qui a changé depuis que j’ai un enfant, c’est l’organisation extérieure au tatami et la possibilité de venir régulièrement au club (je travaillais en garde jour/nuit + gestion de mon fils qui prenait du temps). En ce qui concerne la pratique, je n’ai pas ressenti de différence mais je ne cache pas qu’à cette époque, je n’ai jamais été aussi près d’arrêter la pratique.

 

Célia Fenollar : J’ai repris environ un mois après l’accouchement, au début les chutes sont difficiles, les abdos ne travaillent plus correctement, mais l’aïkido aide à remettre tout ça en place.

Marie Roche : J’ai repris tranquillement en septembre, donc trois mois après l’accouchement. Mes muscles n’étaient encore pas bien remis donc, j’ai fait tranquillement. De plus, le cardio était dans les choux… mais surtout j’étais assez fatiguée..et donc j’ai adapté ma pratique !

Le plus compliqué a été de gérer la reprise des cours et l’allaitement de mon fils. Les premiers mois, je l’ai emmené avec moi. Je l’allaitais juste avant le cours et quelque fois, juste après car il n’espaçait pas beaucoup les tétées (et donc je n’avais pas forcément le temps de rentrer chez moi). Puis il a commencé à trop bouger et ça a été compliqué de gérer les élèves et le bébé en même temps, alors je l’ai laissé à son papa les mardis soirs !

Allaitement avant le cours

 

J’avais également repris les stages et je devais tirer mon lait juste avant et après le stage. Je me rappelle que Gérard Meresse m’avait laissé un bureau pour que je puisse tirer mon lait après un stage de ligue avant de rejoindre les autres pour l’AG l’après-midi ! C’est de l’organisation !

5/Avez-vous subi des remarques ou un regard inquiet lorsque vous pratiquiez enceinte ?

 

Audrey Goaper : A partir du moment où j’ai été enceinte, l’accès au tatami m’a été refusé à l’époque. C’est un peu compliqué a posteriori de refaire clairement et précisément les tenants et les aboutissants de cette situation, mais je me rappelle avoir eu droit à des remarques du style “C’est un non catégorique si c’est moi qui fait cours tu ne monteras pas”, “c’est irresponsable”… 

Je ne veux pas aujourd’hui faire polémique mais ma passion pour la discipline, tout comme mon métier de sage femme, ont été balayés d’un revers de main. 

Célia Fenollar : Non, tout le monde a été bienveillant.

 

Marie Roche : Non pas de remarques, les gens me faisaient confiance, je pense. Il faut dire que je suis sûre de moi et qu’on peut difficilement m’empêcher de faire quelque chose lorsque j’en ai décidé autrement ! J’ai plutôt ressenti de la bienveillance ! 

Quelques semaines avant l’accouchement 

6/ La maternité a-t-elle été un frein dans vos passages de grades ?

Audrey Goaper : La grossesse en soi, non. Le refus d’accès au tatami, oui.

La difficulté de reprendre la pratique et le manque d’envie de reprendre, après avoir été “écartée” oui. J’ai cru à l’époque, que ces mesures restrictives étaient pour mon bien,  même si elles m’ont profondément peinée. 

J’ai cependant failli arrêter la pratique, car cette “mésaventure” m’avait chamboulée. J’ai entendu en plus, que certaines gradées avaient pu pratiquer pendant leurs grossesses et reprendre rapidement. J’avoue les avoir jalousées et avoir eu le sentiment de subir une injustice.

Célia Fenollar : Non, j’ai d’ailleurs passé mon 3ème dan en 2022 enceinte de deux mois. Je dirais que ça provoque un léger ralentissement de la progression car on s’arrête environ 4-5 mois, et puis il faut quelque temps après l’accouchement pour retrouver de bonnes sensations de pratique car le corps a changé.

Juste avant la démonstration de Célia (première grossesse, 2021)

 

Marie Roche : Il est clair que ça a retardé mon passage du troisième dan car je pensais le passer l’année d’avant la grossesse, et finalement je ne me suis vraiment préparée qu’à plus d’un an de l’accouchement ! Avec l’allaitement, mes muscles et mon cardio n’étaient vraiment pas au top si je puis dire ! Mais après réflexion, je trouve que j’y ai gagné au change, car c’est lorsqu’on a l’impression d’avoir perdu tous ses muscles, abdos et périnée, et qu’on les récupère progressivement qu’on les ressent mieux et surtout, que l’on comprend que la puissance vient de là ! Je ne sais donc pas trop si c’est un ralentissement ou au contraire un bond en avant. Ce dont je suis sûre, c’est que je pratique différemment. Je perçois beaucoup mieux le centrage et l’importance de descendre sur les appuis et mes uke le ressentent (Marie a écrit un témoignage sur sa préparation au passage de grade ici)

Comité d’accueil pour Marie, quelques jours après l’accouchement 

 

7/ Quel message aimeriez-vous faire passer aux femmes pratiquantes ?

 

Audrey GoaperJe dirais simplement, de s’écouter. Il me semble personnellement et professionnellement évident que chaque femme durant sa/ses grossesses sait dans quelles conditions (qui n’appartiennent qu’à elle) cette grossesse est survenue.

J’ai du mal à imaginer une femme qui aura expérimenté des difficultés à concevoir un enfant, ou encore, qui a subi des pertes de grossesses précoces, continuer à pratiquer tout en sentant que la pratique constitue un réel risque pour sa santé ou celle de son enfant.

En revanche, le corps médical incite fortement les femmes à poursuivre une activité physique tout au long de la grossesse selon ses ressentis et capacités. .

Certaines marathoniennes continuent de s’entraîner tardivement dans leur grossesse. Alors, pourquoi l’aïkido serait-il une exception ? 

Ce n’est pas aux femmes de subir encore une fois,  une injonction sociale ou médicale. Le cours peut tout à fait se dérouler normalement en présence d’une femme enceinte sur le tatami, et cette dernière devra simplement prendre la responsabilité d’adapter sa pratique à sa condition physique (chute, déplacements). Il suffit (suffit haha) d’un peu de bon sens, et d’adapter sa pratique à sa condition physique..

Le sujet de la pratique des femmes enceinte pose plusieurs questions   : 

  • Pourquoi une femme enceinte pose problème sur un tatami ?

Je n’ai pas tous les éléments de réponse mais il est important de poser la question.

  • Pourquoi ne peut-on pas envisager d’adapter la pratique aux femmes enceintes ?

C’est pourtant ce qu’on fait lorsqu’on a affaire à un pratiquant âgé ou blessé. Cela demande à chacun d’adapter sa pratique le temps d’une technique (10 minutes ?) par cours pendant quelques mois. Et pour être honnête, je pense que cette adaptation est largement envisageable dans la mesure où peu d’attaques sont visent vraiment le ventre (ce n’est pas tous les 4 matins que l’on pratique avec des attaques Chudan Tsuki ou Mae Gaeri) 

  • Existe t-il un cadre légal ou une quelconque responsabilité dans l’hypothèse où une femme rencontre un problème pendant sa grossesse ?

A ma connaissance aucune femme enceinte pratiquante d’aïkido – ayant perdu sa grossesse à cause de la pratique n’a porté plainte contre quiconque, ou pour extrapoler, a fait couler un club et enfermer un enseignant…

Les femmes sont responsables, savent s’arrêter et ne demandent à leurs partenaires qu’un peu de bon sens comme on le ferait pour une personne qui a une épaule en vrac, mal au dos, fatiguée ou qui a simplement un plus petit gabarit, voire une personne qui tout simplement… débute. 

En conclusion sur ces points, je terminerais sans détour par affirmer que plusieurs éléments clefs peuvent poser soucis pour la femme enceinte (chutes, atemis, immobilisations sur le ventre) sauf que je ne vois sincèrement rien d’insurmontable tant que la personne concernée n’y voit pas de limites et sollicite un ajustement de pratique.

A mon sens, le problème réside dans la déresponsabilisation de la femme enceinte et le fait qu’elle soit considérée comme une chose fragile et incapable de savoir à quel moment elle risque une fausse couche.

Pour aller plus loin, je dirais qu’il existe un manque cruel de solidarité envers les pratiquant.e.s de conditions physiques différentes.

Nous devrions tous et toutes être capables de tenir compte du corps de nos partenaires au lieu de s’enfermer dans des excuses comme quoi il ou elle est trop petit, trop débutant, trop blessé et fuir la pratique au lieu de l’adapter. 

 

Célia Fenollar et Philippe Gouttard (6e mois de grossesse)

Célia Fenollar : Aucun, mon expérience n’est que cela. Elle sera forcément différente des autres. Si elle peut en inspirer certaines tant mieux, d’autres y seront indifférentes. 

Je ne peux que continuer de m’entraîner du mieux que je peux, continuer de progresser, de passer des grades, de pratiquer avec un maximum de personnes et leurs donner le meilleur de moi-même. À mon sens, le corps fait passer des messages plus juste que la parole. 

Marie Roche : L’aïkido est tellement facile à adapter car c’est une voie qui unit toutes les énergies, donc (en théorie), on peut pratiquer quel que soit notre âge, notre grade, nos caractéristiques physiques et même enceinte ! La première des choses à faire c’est de s’écouter et être à l’écoute de son corps c’est un principe de pratique déjà ! Et la vie de maman est une belle aventure à vivre alors, si on peut allier les deux voies, quel bonheur !

Merci à vous toutes !

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