Je pratique l’Aïkido depuis maintenant un peu plus de 8 ans et j’ai pu expérimenter différents enseignements, écoles et cultures de l’Aïkido. Et en 8 années, il y a 10 choses que j’ai comprises sur la pratique de notre discipline. Ces apprentissages ne sont pas tous techniques mais m’ont permis de prendre du recul sur ce qu’on m’a enseigné, créer des liens entre les différentes formes d’apprentissages et en tirer mes propres conclusions que je vous partage à un moment T, sans certitudes.
1/ Il ne faut pas avoir de certitudes sur la forme car chaque enseignant/école défend sa paroisse
Combien de fois ai-je entendu une chose et son contraire en ce qui touche aux formes des techniques ! J’ai fini par comprendre que chaque technicien/dojo/fédération défend une forme qui lui est confortable avec l’argumentaire qui en découle. Mais ce n’est pas parce que l’argumentaire est solide qu’il est forcément juste pour nous. Une forme fluide pour un grand gabarit ne le sera pas toujours sur un petit gabarit, ou inversement.
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2/ L’efficacité vient d’une forme assimilée
Il faut en effet adapter la pratique à son gabarit et non reproduire une forme inadaptée à sa morphologie. Bien sûr, pendant les cours/stages, on cherche à reproduire ce qui est montré, mais à terme, lorsqu’on cherche à construire son propre aïkido, ne restera uniquement que ce que le corps a intégré. C’est comme ça que l’on devient efficace dans sa technique.
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3/ Etre un bon Uke n’implique pas forcément de faire des chutes de démo
On confond souvent “bon Uke” et “bon chuteur”. Bien sûr, le lien existe car un bon chuteur sait mobiliser son corps pour suivre un mouvement ou une direction. Mais certains Uke chutent tout seul ou réalisent parfois des chutes dont l’ampleur est démesurée face à l’impulsion donnée par Tori. A l’inverse, on peut être un bon Uke sans pour autant réaliser de chutes spectaculaires, car le rôle d’Uke n’est pas tant d’impressionner par ses prouesses artistiques que d’affirmer sa présence dans l’échange, et notamment en montrant sa capacité à suivre une direction et donner matière à travailler à son partenaire.
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4/ Le meilleur partenaire sur le tatami n’est pas forcément le meilleur sur le plan technique.
Être un bon technicien est un avantage dans la pratique mais cette seule compétence technique ne suffit pas à rendre l’échange riche ou agréable. L’Aïkido est une discipline martiale qui se travaille à deux. Et comme vu plus haut, être un bon partenaire implique avant tout de savoir écouter et s’adapter à l’autre. Un débutant peut être un meilleur partenaire qu’un gradé qui travaille sans prendre en considération le niveau de son partenaire.
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5/ On peut travailler en étant raide, et au début, on est même obligé !
On entend souvent qu’il faut être relâché quand on pratique l’Aïkido. Et c’est vrai ! Mais une fois le constat fait : que fait-on quand un pratiquant est tendu ou naturellement raide ? Il faut composer avec, et d’ailleurs, beaucoup de débutants sont raides car il n’est pas naturel d’être relâché : cela s’apprend. Notons que le relâchement vient de la confiance qu’on accorde à son partenaire et à l’expérience de la pratique. L’une des solutions est d’abord de mettre son partenaire en confiance, mais également de donner des conseils activables pour relâcher ses épaules. Et avant cela, de faire prendre conscience à son partenaire qu’il est tendu (la raideur n’est pas toujours conscientisée). Et enfin, gardons en tête qu’on peut travailler en étant raide tout comme on peut travailler sans être souple. Ce n’est pas l’idéal, mais en Aïkido, on compose avec ce qu’on a !
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6/ En Aïkido, il faut être curieux et utiliser sa tête comme son corps
L’Aïkido, ce n’est pas que de la technique, c’est aussi une réflexion personnelle sur la pratique. Imiter et reproduire sans comprendre ne permet pas de faire de notre art martial une voie de développement personnel. C’est pourquoi, il est important de questionner ce que l’on nous apprend et mettre du sens dans notre pratique pour qu’elle nous apporte au quotidien. Cela invite à échanger avec son enseignant ou ses partenaires d’entraînement en dehors du tatami, ou encore, de trouver des formes qui nous conviennent sur le plan de la pratique. Un Aïkido incarné est d’abord un Aïkido pensé pour notre confort de pratique.
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7/ Le silence n’est pas une réponse pédagogique
En France, on compare souvent notre système pédagogique avec l’enseignement de la pratique au Japon. Et pourtant, la pédagogie a bien des vertus : elle offre une réponse plus rapide à l’apprentissage quand l’observation montre ses limites. Nous avons tous une mémoire d’apprentissage de prédilection : visuelle, auditive, kinesthésique. Un enseignement complet implique de prendre en considération les différentes capacités d’apprentissage de chacun.
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8/ Etre un petit gabarit implique une plus grande exigence technique
Il faut le dire, lorsqu’on est un petit gabarit, on se confronte majoritairement à des grands gabarits. Cela nous invite à redoubler de précision technique, pour contrôler son partenaire ou le déséquilibrer. En Aïkido, on utilise de la force, même si on le nie souvent : bien sûr, les techniques ne doivent pas passer en force mais on se retrouve fréquemment dans un rapport de force du fait de se confronter à un partenaire plus costaud que soi. Par conséquent, la précision technique peut pallier cette différence de gabarit.
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9/ Un prof cassé n’est pas un exemple pour ses élèves
Lorsque j’observe les enseignants les plus âgés, je remarque qu’ils sont souvent abîmés par la pratique. Et pour cause, l’enseignement d’il y a 30 ans ne prenait pas en considération la préservation du corps. C’est pourquoi, il m’est difficile de suivre la voie d’un enseignant abîmé par la pratique. Pour se projeter, il est important de suivre des exemples de pratiquants qui ont fait de la préservation de l’intégrité physique une priorité. Prenons un exemple plus trivial : je fais du fitness via une application mobile. Si les coachs sportifs étaient en surpoids, je pense que je n’aurais pas adhéré au programme car il m’aurait été difficile de me projeter. En Aïkido, c’est la même chose : ce qui compte, ce n’est pas la carrière d’un enseignant à son apogée, mais ce qu’il est devenu dans la durée. C’est ce qui donne un certain crédit à la transmission de son enseignement.
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10/ Beaucoup de réponses en Aïkido sont biomécaniques (merci Stéphane Ethève)
En Aïkido, on a tendance à s’enfermer dans des considérations liées à la forme. Mais ce qui rend notre technique efficace, c’est le fond. Et le fond, c’est notre placement, notre déplacement, notre capacité à générer un déséquilibre et ces compétences sont liées à la biomécanique corporelle : avoir une connaissance du corps humain va fortement nous aider à comprendre pourquoi une technique fonctionne ou ne fonctionne pas. J’en ai pris conscience récemment en travaillant sur une technique de base avec Stéphane Ethève : sur Ai Hanmi Katate Dori – Ikkyo Omote, j’ai pu observer la différence avec une saisie du poignet avec le pouce vers le haut ou le pouce vers le bas. Et pour valider la technique, nous l’avons testé sur un non pratiquant (spoiler : ça marche mieux pouce vers le haut).
Conclusion
Voici donc les 10 observations que j’ai pu constater en 8 ans de pratique. Elles sont bien sûr personnelles et liées à mon propre vécu corporel. Ces réflexions seront sûrement amenées à évoluer avec la pratique de la même manière que mes observations ne sont plus les mêmes aujourd’hui qu’il y a 8 ans. Mais je tâche tant bien que mal de garder cet esprit de débutant et toujours questionner pour comprendre et faire évoluer ma réflexion tout comme ma pratique. Si l’Aïkido est une voie de développement personnel, ce n’est pas parce qu’il est technique, mais parce que les questionnements sont infinis et évolutifs. A nous de saisir cette opportunité pour mener notre propre réflexion sur la pratique.