L’aïkido est un art martial non compétitif. Par conséquent, sa pratique ne peut être envisagée dans un objectif de victoire sur l’autre. Par ailleurs, s’il comprend des bienfaits pour le corps, ces derniers ne peuvent expliquer à part entière l’engagement des pratiquants sur toute une vie. Il y a un fossé entre ce que l’aïkido cherche à promouvoir et ce qu’il réserve réellement aux aikidokas. Alors comment déceler la part du fantasme dans l’aïkido ? Que propose vraiment cette discipline martiale ?

 

Cette réflexion philosophique est proposée par une personne anonyme.

Qu’est ce qui attire les pratiquants vers l’aïkido ?

Pourquoi choisir un art martial plutôt qu’un autre ? S’il existe des parcours qui ont commencé par le judo ou le karaté, pour ne citer qu’eux, avant de venir à l’aïkido, la plupart des néo-pratiquants ne font-ils pas leurs premiers pas sur des tatamis ? Au pourquoi, il est possible de répondre que choisir (même dans un choix multiple) est inévitable (1). Alors, vient le comment. Comment choisir ? Est-ce au décours d’une conversation avec cette personne qu’on aime bien et qui finalement nous entraîne dans son sillage ? Est-ce par affinité pour la culture nippone et particulièrement l’univers manga ? Est-ce par recherche active d’un moyen de défense ? 

Défense. A la lumière de la guerre en Ukraine, l’aïkidoka moderne (nous), pense-t-il réellement avoir une capacité défensive ? N’est-ce pas au mieux un manque de modestie, au pire une publicité mensongère que de faire croire aux néo-pratiquants qu’ils sont des samouraïs en puissance ? Quel art, ou sport en général, base encore aujourd’hui sa communication sur les leviers identiques à ceux utilisés au début du XX°siècle ? Ce mensonge, cette trahison envers les nouveaux venus pourrait-elle être une des causes de l’hémorragie du nombre de licenciés ?

Cependant, n’est-ce pas là le charme du fantasme ? Ne jamais se réaliser, être tenu secret et nous animer (2). Alors, c’est cela l’aïkido. Le DO, la voie. 

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Quelle est la part du fantasme véhiculé par l’aïkido ? 

Et le fantasme dans tout cela ? Il n’a pas de juge ! Il en existe autant que de pratiquants. Toutefois, dans une pratique qui tend à gérer les conflits, certains sont moins productifs que d’autres. Faut-il rappeler que le combat qu’on ne perd pas est celui qu’on ne démarre pas ? Pourtant le fantasme de domination – conscient ou non – vient percuter cette idée. L’humain domine, il domine tout, c’est dans sa nature. La question est : est-il souhaitable de la renforcer ? Est-il souhaitable que les activités de self-défense soient de plus en plus nombreuses à voir le jour et faut-il que l’aïkido en prenne le chemin ? Est-ce souhaitable qu’en France, une personne ait besoin d’apprendre à se défendre à mains nues ?

Qui dit domination, dit rôles sociaux. Gageons que la micro-société d’un tatami soit un reflet de la société en général. Ce qui, cela dit en passant, répond à la question initiale. Qui sont ces gens qui pratiquent l’aïkido : les mêmes que ceux qui n’en font pas. L’ouverture de la pratique à tous et toutes est une richesse qui permet la pluralité. Quand on parle de celle-ci, le mot tolérance n’est pas loin. Mais telles l’ombre et la lumière, là où il y a tolérance et ouverture, il y a aussi domination (3). Or la domination d’une forme de pratique sur d’autres, par son unicité, appauvrit la pluralité.  

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Qu’est-ce qui fait perdurer les aïkidokas dans la pratique ? 

Avec cette hypothèse que la pratique est un va-et-vient où elle s’enrichit puis s’appauvrit puis fleurit de nouveau, quels pratiquants résistent à ce type de vagues ? Celui ou celle qui a fait cohésion avec un groupe en plus de cet.te ami.e qui l’a embarqué.e ? Celui ou celle qui se sent performant ou progresser ? Notons que pour cela, il faut se poser la question de son évolution, en effet ne pas être conscient de son degré d’ignorance affaiblit considérablement le potentiel évolutif. 

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Conclusion : 

Mais pourquoi pratiquer alors ? Si les aïkidokas ne seront pas des samouraïs, si leur “défense” ne sert à rien face à l’attaque du monde moderne, s’ils n’atteindront jamais leur fantasme et s’ils risquent de ne plus se rendre compte quand ils feront du surplace, pourquoi débuteraient-ils ? Parce que le DO justement ! La voie est la seule réponse. Le but de la pratique est la pratique. Bien qu’il soit possible d’invoquer de multiples raisons objectives : la forme physique, la réflexion, le relationnel, y compris le besoin de défense…tous ces points ne peuvent être que des argumentaires à court terme car ils demeurent des objectifs atteignables. Et c’est tant mieux. Dans une société où tout s’accélère, c’est une bonne chose d’avoir des objectifs rapprochés et atteignables. Qu’en est-il alors de l’engagement ? Comment atteindre un objectif alors que le néo-pratiquant peut avoir envie d’aller butiner un autre art martial ou sport au bout de quelques mois ? Doit-on envisager le rôle des plus anciens comme celui de guide aux néo-pratiquants, pour leur faire découvrir, sans les effrayer, toute la diversité de la pratique ?

Ouverture :

Sommes nous enfermés dans le fantasme initial de l’aïkido ?

Effectivement, il est pertinent de discuter de la responsabilité des anciens pour les néophytes. La pratique de l’aïkido pouvant s’étaler sur des décennies, sommes-nous certains de nous rappeler qui nous étions en tant que néo-pratiquant ? Faut-il véhiculer des images dites martiales pourtant dépourvues de sens ? Faut-il flatter l’égo sur des démonstrations ne reflétant pas la réalité de la pratique ? Faut-il leur laisser voir dans l’aïkido une fin utilitaire lors de simulacres de combats de rue ? Ce serait très éloigné des objectifs atteignables que nous évoquions plus haut.

Au fond, fantasmer une pratique de l’aïkido, n’est-ce pas prendre le risque d’être déçu ou de décevoir ?

  • L’existensialisme est un humanisme, J.P. Sartre, 1945
  • Concept du fantasme selon la philosophe M. Klein (1882-1960)
  • Théorie du Yin et du Yang, issue de la philosophie chinoise

 

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Yéza Lucas, auteur du blog Aikido-millennials et coach professionnelle, 

 

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