Depuis quelque temps, j’ai eu la chance de pratiquer l’Aïkido dans plusieurs pays — en Asie comme en Amérique latine. Cette expérience m’a confrontée à des formes très différentes de ce que j’avais connu jusque-là, mais elle m’a surtout permis d’explorer ce que l’Aïkido représente au-delà des styles, des écoles ou des traditions locales.
À travers ces voyages, j’ai découvert non seulement des pédagogies nouvelles, mais aussi des manières différentes de chuter, de se centrer, de transmettre. J’ai aussi appris à perdre mes repères, à adapter ma pratique, et à écouter ce que l’autre — partenaire, enseignant ou contexte culturel — avait à m’apporter.
Dans cet article, je partage cinq réflexions issues de ces expériences :
- trois leçons concrètes apprises en pratiquant à l’étranger,
- un regard sur ce qui nous relie malgré la diversité des pratiques,
- et une conviction profonde : l’humilité reste au cœur de toute progression, quel que soit notre niveau ou notre lieu de pratique.
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Aïkido : trois leçons apprises de ma pratique à l’étranger
Depuis quelques années, j’ai eu la chance de pratiquer l’Aïkido dans différents pays — et notamment ces derniers mois. Chaque dojo m’a apporté quelque chose de différent : une pédagogie, un rythme, une énergie.
Mais certains constats m’ont marquée, et voici les trois plus importants.
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1/ Pratiquer à l’étranger invite à prendre du recul sur la forme
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Peu importe notre fédération d’appartenance ou notre école, nous pratiquons tous l’Aïkido. Ce qui diffère, ce n’est pas la philosophie de notre style de pratique, mais les formes, à savoir la manière d’exécuter une technique.
Certes, il existe des formes que l’on affectionne plus que d’autres, mais en fin de compte, être ouvert sur différentes manières de pratiquer notre discipline nous invite à prendre du recul sur la forme et à garder en tête les principes fondamentaux :
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- L’intention derrière l’attaque : principe d’irimi et de martialité
- L’efficacité technique : un mélange de timing (deai), de distance (maai) et de précision
- La vigilance (zanshin)
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2/ Changer de tatami nous en dit long sur nos chutes
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Autre apprentissage concret : une bonne chute, c’est une chute où on ne se fait pas mal. Pour moi, une bonne chute devrait pouvoir se tester sur un sol dur. C’est le meilleur indicateur de son écologie pour le corps.
Je l’ai réalisé à l’Aikikai à Tokyo (et dans d’autres dojos japonais par la suite) : les chutes avant (mae ukemi) me faisaient mal sur le tatami très ferme. C’est là que j’ai compris qu’il fallait que je retravaille mes chutes, pour mieux les optimiser et limiter la douleur.
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3/ Sport ou non, l’Aïkido est un budo qui invite à entretenir sa condition physique
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Enfin, pratiquer l’Aïkido à l’étranger m’a aussi rappelé que notre discipline, repose sur un socle corporel qui demande une préparation physique. Elle demande une présence physique, une stabilité, un ancrage.
Au Japon, l’Aïkido n’est pas toujours associé à un échauffement cardio. Pourtant, on sent très vite si l’on manque de tonicité ou de centre. À Taïwan, par exemple, certaines chutes de l’échauffement impliquaient de se relever directement les pieds parallèles, sans passer par les genoux. Sans gainage, c’est impossible.
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Ce que m’ont appris les tatamis de Chiang Mai, Taipei et Osaka
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Ces leçons ont pris tout leur sens dans les dojos que j’ai découverts récemment. À Chiang Mai, à Taipei ou à Osaka, j’ai pu ressentir à quel point chaque école porte une identité forte, tout en transmettant les mêmes principes fondamentaux.
À Chiang Mai, les pratiquants étaient jeunes, bienveillants, et l’enseignement mêlait armes, formes nouvelles et révision des bases. À Taipei, j’ai apprécié la liberté des jyu waza, les changements fréquents de partenaires et l’attention à la compréhension — même à travers la barrière de la langue. Et surtout, cette humilité partagée sur le tatami, quand on sait d’avance qu’on va être larguée, mais qu’on y va quand même.
À Osaka, c’est une autre approche que j’ai découverte, centrée sur le travail postural et le centrage. Massage des pieds en début de cours, attention constante à la stabilité, et toujours, cette gentillesse simple et touchante : un mot en français, une paire de chaussettes offertes, une invitation à dîner. Là encore, la richesse de la pratique allait de pair avec la richesse du lien humain.
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Aïkido : qu’est-ce qui fédère nos différentes pratiques ?
Ces expériences m’ont amenée à une réflexion plus large : qu’est-ce qui nous rassemble malgré toutes ces différences de formes, de rythmes, de rituels ?
Il y a quelques mois, j’ai pratiqué l’Aïkido en Thaïlande : l’enseignant portait une veste marron et un bas de keikogi noir. Au Mexique, certains élèves n’avaient même pas de keikogi après un an. Dans certaines écoles, les kyus portent des ceintures de couleur, dans d’autres un hakama blanc. L’étiquette change, les rituels aussi, mais la pratique est universelle.
Pour certains, l’Aïkido est une voie martiale. Pour d’autres, une discipline de développement personnel. Pour d’autres, un sport. Et il n’y a pas de hiérarchie entre ces visions. Il serait réducteur, voire sectaire, d’enfermer l’Aïkido dans une seule définition.
Ce qui nous rassemble, en fin de compte, ce n’est pas la forme. C’est l’envie de pratiquer ensemble. Et l’ouverture d’esprit qui permet d’accueillir les différences sans les juger.
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Aïkido : l’humilité n’a ni grade ni frontière
Cette diversité est aussi un excellent rappel d’humilité. Je pratique l’Aïkido depuis huit ans. Je suis 2e dan. Et pourtant, à chaque fois que je change de pays, je redeviens débutante. Pas techniquement, mais dans mon écoute, dans ma capacité à m’adapter à l’autre, à la forme, au rythme et à l’intention du partenaire.
Il est facile de se sentir bon quand on pratique toujours dans le même cadre. Mais c’est justement dans l’inconfort que l’on mesure la solidité de sa pratique. Quand l’Uke ne réagit pas comme prévu, quand la forme n’est pas familière, quand un pratiquant gradé d’une autre école vous corrige avec bienveillance… l’ego doit lâcher prise.
Je continue donc à pratiquer en gardant mon esprit de débutante. Car mon niveau n’est ni acquis, ni universel. Et ça aussi, c’est l’un des plus beaux enseignements de l’Aïkido.
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Conclusion
Pratiquer l’Aïkido à l’étranger, c’est faire l’expérience concrète de l’ouverture, de la remise en question, et de la richesse des différences. C’est aussi comprendre que notre discipline est vivante, plurielle, mais profondément humaine.
Changer de pays, c’est changer de cadre, de forme, de rythme. Mais c’est aussi une invitation à écouter, observer et ressentir, à se délester de ses certitudes, à garder un esprit d’ouverture, et surtout, à pratiquer ensemble.